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La compétitio­n à deux : les athlètes olympiques enceintes brisent le tabou à Paris

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De nombreux athlètes olympiques partagent sur Instagram des nou‐ velles de leurs exploits, de leurs épreuves, de leurs victoires et de leurs déchiremen­ts. Après la fin de son épreuve d'escrime la semaine der‐ nière, l'Égyptienne Nada Hafez en a dit un peu plus.

L'athlète a révélé qu'elle prati‐ quait l'escrime depuis deux ans et qu'elle était en fait enceinte depuis sept mois.

"Ce qui vous semble être deux concurrent­es sur le podium, c'était en fait trois !", a écrit Hafez sous une photo émouvante d'elle pendant le match. "C'était moi, ma concurrent­e et mon petit bébé qui n'est pas en‐ core arrivé dans notre monde !"

La mère (et le bébé) ont terminé la compétitio­n à la 16e place, le meilleur résultat de Hafez en trois Olympiades.

Un jour plus tard, une archère azerbaïdja­naise a également révélé

sur Instagram avoir participé à une compétitio­n alors qu'elle était en‐ ceinte de six mois et demi. Yaylagul Ramazanova a déclaré à l'agence chi‐ noise Xinhua News qu'elle avait senti le coup de pied de son bébé avant de tirer - et qu'elle avait ensuite tiré un 10, le nombre maximum de points.

Il y a déjà eu des athlètes olym‐ piques et paralympiq­ues enceintes, mais le phénomène est rare pour des raisons évidentes. Cependant, la plu‐ part des histoires concernent des ath‐ lètes qui participen­t à des compéti‐ tions bien avant le début de leur gros‐ sesse, ou qui n'étaient même pas as‐ sez avancées pour savoir qu'elles at‐ tendaient un enfant.

C'est le cas de la star américaine du beach-volley Kerri Walsh Jennings, qui a remporté sa troisième médaille d'or alors qu'elle était enceinte de cinq semaines de son troisième en‐ fant, sans le savoir.

"Lorsque je me jetais à corps perdu dans les airs et que je visais l'or pour notre pays, j'étais enceinte", a-telle déclaré dans l'émission "Today" après les Jeux de Londres en 2012.

Elle et son mari Casey (également joueur de beach-volley) n'avaient commencé à essayer de concevoir un enfant que juste avant les Jeux olym‐ piques, pensant que cela prendrait du temps. Mais elle s'est sentie différente et sa partenaire de volley-ball, Misty May-Treanor, lui a dit - de manière prémonitoi­re, s'est-il avéré - "Tu es

probableme­nt enceinte".

"Pas de danger à s'entraîner, à faire de la musculatio­n et à parti‐ ciper à des compétitio­ns de haut niveau"

Selon un expert, il est logique que les athlètes enceintes repoussent les li‐ mites aujourd'hui, car les attitudes et les connaissan­ces sur ce que les femmes peuvent faire à un stade avancé de leur grossesse évoluent.

"C'est quelque chose que nous voyons de plus en plus", a déclaré le Dr Kathryn Ackerman, médecin du sport et coprésiden­te du groupe de travail sur la santé des femmes du Co‐ mité olympique et paralympiq­ue des États-Unis. "Les femmes réfutent le mythe selon lequel il n'est pas pos‐ sible de faire de l'exercice à haut ni‐ veau pendant la grossesse".

Mme Ackerman note qu'il y a eu peu de données et que les décisions prises par le passé en la matière étaient souvent arbitraire­s. Mais, ditelle, "les médecins recommande­nt maintenant que si une athlète est en bonne condition au début de sa gros‐ sesse et qu'il n'y a pas de complica‐ tions, elle peut sans danger s'entraî‐ ner et participer à des compétitio­ns de très haut niveau". Une exception, dit-elle, pourrait être une discipline comme le ski de compétitio­n, où le risque d'une mauvaise chute est im‐ portant.

Mais en escrime, explique Mme Ackerman, basée à Boston, les ath‐ lètes sont équipées de protection­s, et dans les sports moins exigeants phy‐ siquement, comme le tir à l'arc ou le tir, il n'y a absolument aucune raison pour qu'une femme ne puisse partici‐ per à des compétitio­ns.

Il ne s'agit pas seulement d'une question de condition physique, bien sûr. Il s'agit d'une question profondé‐ ment émotionnel­le. Décider si et comment concourir tout en essayant de fonder une famille est un calcul épineux que les athlètes masculins n'ont tout simplement pas à prendre en compte, du moins pas de la même manière.

Il suffit de demander à Serena Williams, qui a remporté l'Open d'Australie en 2017 alors qu'elle était enceinte de son premier enfant. Cinq ans plus tard, lorsqu'elle a voulu en avoir un deuxième, elle s'est retirée du tennis - une décision atroce.

"Croyez-moi, je n'ai jamais voulu avoir à choisir entre le tennis et une famille", a écrit Williams - qui a rem‐ porté quatre médailles d'or olym‐ piques - dans un essai de Vogue. "Je ne pense pas que ce soit juste. Si j'étais un homme, je ne serais pas en train d'écrire ceci parce que je se rais en train de jouer et de gagner pen‐ dant que ma femme ferait le travail physique pour agrandir notre famille. Peut-être que je serais davantage un Tom Brady si j'avais cette possibilit­é".

Williams a accueilli Adira River Ohanian en 2023, qui a rejoint ainsi sa soeur aînée Olympia.

Olympia est le nom que la mère de la joueuse de so ball américaine Michele Granger aurait suggéré pour le bébé que Granger portait lors‐ qu'elle a lancé le match de la mé‐ daille d'or à Atlanta en 1996. Son mari a suggéré le nom d'Athena. Granger n'a préféré ni l'un ni l'autre.

"Je ne voulais pas faire le lien avec son nom", a déclaré Granger à Gold Country Media en 2011. Le bébé a été nommé Kady.

Sacrifice et courage

Le choix de combiner maternité et carrière sportive implique de nom‐ breux facteurs, qui varient selon le sport et le pays. Franchina Martinez, 24 ans, qui pratique l'athlétisme en République dominicain­e, explique que dans son pays, les athlètes fémi‐ nines sont plus nombreuses à prendre leur retraite prématurém­ent que les athlètes masculins, notam‐ ment en raison de leur grossesse.

"Lorsqu'elles tombent enceintes, elles pensent qu'elles ne pourront pas revenir, contrairem­ent à ce qui se passe dans les pays plus développés où elles pourraient le faire", explique Mme Martinez. "Alors, elles aban‐ donnent le sport, ne reviennent pas en compétitio­n ou ne sont plus les mêmes".

Pour le bien de sa carrière, elle n'envisage pas d'avoir des enfants dans un avenir proche : "Tant que je peux l'éviter pour le bien de mon sport, je le reporterai parce que je ne suis pas encore prête pour cela".

À la salle d'escrime de Paris ce week-end, les fans étaient partagés entre l'admiration pour le courage et la déterminat­ion de Hafez, une an‐ cienne gymnaste de 26 ans diplômée en médecine, et les spéculatio­ns sur les risques encourus.

"Il y a certaineme­nt des sports moins violents", a déclaré Pauline Du‐ tertre, 29 ans, assise à l'extérieur de l'élégant Grand Palais pendant une pause aux côtés de son père, Chris‐ tian. Pauline Dutertre a participé au circuit internatio­nal de sabre jus‐ qu'en 2013. "C'est quand même un sport de combat".

"En tout cas, note-t-elle, c'est cou‐ rageux. Même sans monter sur le po‐ dium, ce qu'elle a fait est courageux".

Marilyne Barbey, qui assiste en fa‐ mille à l'escrime depuis Annecy, dans le sud-est de la France, s'interroge, elle aussi, sur la sécurité, mais ajoute : "On peut tomber n'importe où, n'im‐ porte quand. Et, en fin de compte, c'est son choix".

Ramazanova, qui était visiblemen­t enceinte lors de la compétitio­n, a éga‐ lement suscité l'admiration, y com‐ pris de ses pairs. Elle a atteint les 32 dernières places dans son épreuve.

Casey Kaufhold, une athlète amé‐ ricaine qui a remporté le bronze dans la catégorie des équipes mixtes, a dé‐ claré qu'il était "vraiment cool" de voir sa collègue azerbaïdja­naise réali‐ ser ce qu'elle a fait.

"Je pense que c'est génial de voir de plus en plus de femmes enceintes tirer aux Jeux Olympiques et c'est gé‐ nial d'en avoir une dans le sport du tir à l'arc", a-t-elle déclaré dans des com‐ mentaires à l'Associated Press. "Elle a très bien tiré, et je pense que c'est vraiment cool parce que mon entraî‐ neur est aussi une mère et qu'elle fait beaucoup pour soutenir ses enfants même lorsqu'elle est absente".

Kaufhold espère que la course de Ramazanova incitera davantage de mères et de futures mères à participer à des compétitio­ns. Et elle avait une pensée plus personnell­e pour la fu‐ ture maman :

"Je pense que c'est formidable pour cette archère de pouvoir dire un jour à son enfant : Hé, je suis allé aux Jeux Olympiques et tu y étais aussi".

 ?? APPhoto/AndrewMedi­chini ?? L'Égyptienne Nada Hafez et l'Américaine Elizabeth Tartakovsk­y s'affrontent lors des Jeux olympiques d'été de 2024 au Grand Palais, le lundi 29 juillet 2024, à Paris, en France.
APPhoto/AndrewMedi­chini L'Égyptienne Nada Hafez et l'Américaine Elizabeth Tartakovsk­y s'affrontent lors des Jeux olympiques d'été de 2024 au Grand Palais, le lundi 29 juillet 2024, à Paris, en France.
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