Écoles privées hors contrat : « Pour certains parents, ça a été très violent »
Chapitre 1 : Les conflits internes. Les écoles indépendantes qui se créent sont en proie à des luttes intestines entre collègues et entre le corps enseignant et les parents.
Elles sont dites “nature”, “démocratiques”, Montessori, catholiques, Steiner, musulmanes, internationales… Elles promettent de « transformer le monde » et se présentent comme offrant un système à l’opposé de celui que propose l’Éducation nationale. Les écoles alternatives, privées et hors contrat, vantent un rythme adapté à l’enfant, des classes aux effectifs réduits, des enseignants soigneusement sélectionnés.
Pourtant, alors que leur nombre est passé de 351 en 2012 à près de 2 000 aujourd’hui, les établissements hors contrat sont loin d’offrir une qualité de service homogène. Enseignants non formés et payés au Smic, manque de transparence à l’égard des parents, management toxique… La réalité, elle aussi, peut être alternative.
Dans cette enquête, nous vous proposons plusieurs parties consacrées à ces écoles privées hors contrat. Voici la première. Elle se concentre sur les conflits qui aboutissent à faire exploser les équipes pédagogiques, pis encore, à faire fermer les structures, laissant les familles sans solution en cours d’année.
Dans le premier degré, le nombre d’écoles privées hors contrat a plus que doublé entre 2015 et 2022. Elles représentent désormais 2,2% de l’ensemble des écoles publiques et privées, selon les données de l’Éducation nationale.
Pour la sociologue de l’éducation Amélia Legavre, cette accélération s’explique, notamment, par « l’influence de l’éducation et de la parentalité positives : Ce mouvement, qui s’est notamment développé aux États-Unis, considère qu’il faut prendre en compte les émotions de l’enfant et ses envies dans son éducation ». Un courant qui « est arrivé surtout dans les années 2010 en France, par le biais d’associations plus ou moins formelles et à l’aide des réseaux sociaux », indique la chercheuse.
Patrick Roumagnac, du syndicat des inspecteurs de l’Éducation nationale (Sien-Unsa), voit se développer en France « ces établissements qui s’identifient à une forme de pédagogie particulière, comme Montessori, qui mettent souvent en avant le bienêtre de l’enfant. On y voit du très intéressant et du très calamiteux ».
Ce que confirme Aurélie* qui se décrit comme une professeure « stricte, mais juste » : « Avec les écoles alternatives, soit tu tombes hyper bien et tout va bien, soit c’est du grand n’importe quoi. » La trentenaire vient de passer cinq années dans une école internationale hors contrat de Gironde. Tout se passait pour le mieux jusqu’à ce qu’elle accepte une rupture conventionnelle, ses relations avec sa direction s’étant brusquement dégradées.
ENSEIGNANTE DE 30 ANS.
Au tout début de sa carrière, lorsqu’Aurélie a fait le choix de quitter les rangs de l’Éducation nationale, c’est parce qu’elle trouvait « que l’accent était uniquement mis sur le programme et sur l’idée d’emmener toute une classe vers un objectif, quitte à laisser certains enfants de côté ». Elle a décidé de suivre une formation à l’Institut supérieur Maria Montessori.
En 2019, la jeune maîtresse a souhaité s’investir dans cette école internationale du sudouest de la France. Elle intervient d’abord de façon bénévole pour former l’enseignante en place à la méthode Montessori, avant de finalement prendre sa place.
La promesse est alléchante : un enseignement bilingue 50 % en français et 50 % en anglais, le recours à la pédagogie Montessori pour le langage, à la méthode Singapour pour les mathématiques et à la méthode STEAM (Sciences-TechnologieIngénierie-Arts-Mathématiques) pour les projets transversaux.
Située aux abords d’un grand parc boisé, l’école promeut en environnement privilégié et un enseignement adapté au rythme de chaque enfant. « Les élèves étaient heureux et leur autonomie était réelle et impressionnante, dès le début », estime Aurélie. Mais cinq ans après, la jeune femme identifie plusieurs « choses qui clochent ».
D’abord, le turn-over des enseignants anglophones. « En cinq ans, nous avons eu six maîtresses et maîtres anglais. Et surtout, s’il s’agissait d’anglais natifs, ils n’étaient en revanche pas toujours enseignants, donc pas formés. »
« C’est le plus gros point noir, abonde Justine, qui a remplacé Aurélie pendant son congé maternité. Des enseignants qui ne sont pas diplômés avec, en plus, certains enfants qui ont des difficultés d’apprentissage, c’est forcément risqué. »
Justine a enseigné cinq ans pour l’Éducation nationale, puis à Londres dans une école sous contrat avec l’État français et deux ans à l’école hors contrat Concordia, à Paris. Elle note une réelle différence : « Ici, les élèves ne sortent pas bilingues. L’enseignement en maternelle est très bien, mais passé le CP, le niveau n’est pas là. » La différence ? « Une question de moyens et de projet pédagogique », selon elle.
S’assurer de l’efficacité et du sérieux des programmes dans l’enseignement, c’est le rôle du directeur pédagogique. Rôle qui ne peut pas être attribué à n’importe qui puisqu’il faut avoir enseigné au moins cinq ans pour pouvoir l’endosser. Ce qui n’était pas le cas de la directrice d’Aurélie et Justine. « Sur le papier, c’est moi qui étais directrice pédagogique, explique Justine, alors en simple remplacement. Même si dans les faits, c’est la directrice qui assurait ce rôle. » Une subtilité administrative dont ne se vante pas l’école sur son site internet et ses réseaux sociaux et qui échappe à la plupart des parents.
Autre point noir, la frontière entre vie personnelle et professionnelle. Durant la pandémie de Covid, Aurélie a assuré des cours particuliers, pour garder ses élèves au niveau. « Quand j’ai voulu arrêter, ça n’a plu ni aux parents, ni à ma directrice », regrette-t-elle. Aurélie dénonce aussi des réunions régulières « qui pouvaient se terminer à 23 heures »,
« tout ça pour 1 500 euros, sans jamais aucune reconnaissance ».
Des relations compliquées avec ses supérieurs, ça existe aussi dans l’Éducation nationale. « Mais on peut se référer à l’inspection académique,
nuance Justine. Dans les écoles hors contrat, le supérieur hiérarchique, c’est le directeur. » Et quand les relations se dégradent, cela provoque souvent le départ de l’enseignant.
Les tensions ne sont pas rares dans ces petites structures. Delphine Laval a fondé une école dite “démocratique” en 2016 en Corrèze. L’expérience aura duré moins d’un an. « On s’est heurté, entre autres, à des parents qui n’avaient pas mis leurs enfants par profonde adhésion à la vision de l’école, mais parce que des choses n’allaient pas dans le système traditionnel », explique cette ancienne directrice.
CRÉATRICE D’ÉCOLE EN CORRÈZE.
Les conflits avec les parents se sont cristallisés et deux familles sont parties « dans une grande violence », dont la trésorière de l’association, qui a « emporté la caisse ». « Quand des familles quittent l’école en prenant dans la caisse, financièrement, c’est compliqué de s’en remettre. On s’est rendu compte qu’on était à bout, même si on savait que d’autres élèves allaient venir », se souvient Delphine.
L’école internationale où exerçait Aurélie a, elle aussi, dû faire face à une hémorragie de parents. « Tous les ans, des parents avaient des doutes et beaucoup d’enfants n’allaient pas au bout de leur scolarité », s’attriste Aurélie. Une classe de CM2 a dû fermer en cours d’année, pour cette raison.
Ces écoles alternatives sont donc fréquemment confrontées à « un important turnover des enfants », témoigne Amélia Legavre, sociologue : « Soit les parents estiment que leur enfant va mieux et le remettent dans le public, soit les parents sont très déçus et partent en claquant la porte, parce qu’il y a beaucoup d’attente. »
Les conflits se cumulent aussi généralement avec des difficultés financières, propres à ces écoles qui ne bénéficient pas de subvention de l’État, contrairement aux établissements sous contrat. C’est ce que nous verrons dans le deuxième volet de cette enquête.
*Le prénom a été modifié. Enquête réalisée par Amandine Briand et
Raphaël Tual
❝ Je me suis beaucoup remise en cause. Ça m’a vraiment abîmée. Je ne vais pas enseigner à nouveau, en tout cas pas tout de suite. AURÉLIE,
❝ Dans ce fonctionnement d’école démocratique, les enfants se saisissent très vite des espaces de parole et de décisions. Pour certains parents, ça a été très violent : lorsque les enfants rentraient à la maison, ils avaient besoin de décider pour leur propre vie, de faire par eux-mêmes.
DELPHINE LAVAL,