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«Ce qui choque les gens, c’est qu’une femme porte plainte contre le père»

En 2023, la vie de Jeanne* a changé lorsqu’elle a osé déposer plainte contre son ex-mari, mais pas seulement pour le mieux. Dans sa commune, avant la condamnati­on du père pour violences sur elle et leurs enfants, elle s’est sentie seule contre tous.

- • Emma Grivotte L’Éveil de Pont-Audemer

« Je prends un bébé, je l’emmène au pont de Tancarvill­e et je le lâche pour qu’il se tue.» Tels étaient les propos de l’enfant de 7 ans, que son enseignant­e rapportait à ses parents, dans un mail que L’Éveil de Pont-Audemer a pu consulter, parmi d’autres comporteme­nts inquiétant­s et violents. Jeanne*, dans la quarantain­e, s’étonne encore que le comporteme­nt de son benjamin à l’école n’ait pas amené l’enseignant­e à faire un signalemen­t aux services sociaux. «Ses camarades ont peur de lui et cela lui fait plaisir, il sourit et rit ! Il aime leur faire peur et les violenter », prévenait la maîtresse. Or, pouvait-elle se douter que quelque chose ne tournait pas rond derrière l’apparence de la famille modèle, aux parents de profession­s cadres, vivant dans la région de Pont-Audemer ?

Le père reconnu coupable de violences

Âgés aujourd’hui de 12, 10 et 9 ans, les trois enfants de Jeanne*, et elle-même, ont pourtant vécu un enfer. « Sur les deux grands, ça ne se voyait pas plus que ça, mais le dernier était ultra violent à l’école », explique Jeanne. Il a fallu du temps à cette mère de famille pour prendre conscience de la maltraitan­ce de son ex-mari, et oser la dénoncer : « Dans ma situation, ce n’était pas inné de porter plainte contre le père de mes enfants. » Alors même que des années plus tôt, son fils aîné avait appelé à l’aide en demandant à quitter la maison.

En janvier 2023, elle porte plainte. Fin mars, son ex-mari est condamné pour la première fois par un tribunal, à une amende et une interdicti­on d’entrer en contact avec Jeanne, et doit verser des sommes à son épouse et ses enfants pour les préjudices subis.

Il est reconnu coupable d’avoir exercé des violences sur sa compagne, notamment en la saisissant violemment, en présence de leurs enfants, mais aussi sur ces derniers sous la forme de gifles plus ou moins fortes, fessées et punitions répétées. « En novembre 2022, il a frappé sa fille, son nez était en sang et coulait à flots. Lui était dans le déni complet», relate Jeanne.

Maltraitan­ce physique et morale

« Ils ont été maltraités physiqueme­nt et moralement », indique-t-elle. Leur père imaginait des punitions particuliè­rement sadiques. Si le jugement, que L’Éveil de Pont-Audemer

a pu consulter, n’évoque que

« l’obligation pour le mineur de se poser le postérieur dénudé sur des orties », la mère donne d’autres exemples : obliger l’enfant à casser lui-même sa petite voiture préférée avec une masse, à aller récupérer ses jouets jetés dans un pré avec des vaches et des taureaux, à courir la nuit à côté de la voiture ; l’enfermer brièvement dans le garage et dans le noir, jeter une à une devant lui ses cartes Pokémon au feu… La liste est longue. « L’enquêtrice sociale qui relisait les sévices qu’ils avaient subis m’a dit qu’il aurait mieux valu qu’il les batte », ajoute Jeanne.

Mais comment une telle violence peut-elle s’installer dans un foyer ? Jeanne n’a pas totalement la réponse : « C’est venu petit à petit. Il a commencé réellement à être violent un mois avant la naissance de notre premier enfant. Avant, il était seulement dénigrant. »

Elle aussi assure avoir été maltraitée psychologi­quement :

« Une fois, il m’a enfermée à l’extérieur de notre chambre d’hôtel. J’ai demandé de l’aide à un membre du personnel et il lui a dit qu’il ne me connaissai­t pas. »

«Les gens prennent en pitié le père »

Le cauchemar n’a pas cessé à compter de la plainte de Jeanne. L’apprenant, son mari s’empare des passeports des enfants et vide les comptes bancaires. « Un soir, il m’a dit : “T’as joué, t’as perdu. Moi, je n’ai rien à perdre, toi tout.” » Après la séparation, alors qu’il a interdicti­on de l’approcher, il met de la colle dans les serrures de la maison et trafique des bouteilles de vin.

Jeanne demande une ordonnance de protection qui lui est refusée, avant d’être finalement octroyée par la Cour d’appel quelques mois plus tard. Elle pense que le refus initial a été encouragé par des attestatio­ns écrites par un couple d’amis du père, habitant dans la même commune, qui « me faisaient passer pour une folle et lui un super bon papa ».

Insultée une fois, elle a l’impression que son ex-mari a retourné leur entourage contre elle et ne s’est pas sentie soutenue en dénonçant les violences. « Ce qui choque les gens, ce n’est pas la maltraitan­ce, mais qu’une femme porte plainte contre le père de ses enfants. Ils ont pris pitié pour le père qui avait été en garde à vue deux jours et je suis devenue la méchante dans le village. »

Quand elle rentre chez elle, un conseiller municipal de la commune (l’ami du père) interfère même dans l’affaire. Un soir, une discussion avec son ex-compagnon s’envenime. « Il m’a prise par le bras et m’a fait reculer près des escaliers, ma fille a vu la scène », raconte Jeanne qui, après ça, appelle les gendarmes. Entre-temps, son compagnon demande à son ami de venir. À l’arrivée des forces de l’ordre, ce dernier se serait présenté en tant qu’élu et aurait pris parti pour le père. Contacté par L’Éveil, il n’a pas souhaité réagir.

« Le foyer a permis de les éloigner de la violence »

«Moins de deux semaines après, mon fils a été évincé de la cantine », raconte Jeanne, qui soupçonne l’élu d’être intervenu dans cette décision. Cependant, la lettre explique cette exclusion pour huit jours par « ses violences verbales et physiques répétées » malgré plusieurs courriers d’alerte aux parents. De son côté, la mairie assure, Jeanne étant elle-même conseillèr­e municipale, que cette histoire privée ne regarde pas le conseil ni la municipali­té.

Depuis le mois d’avril, les trois enfants de Jeanne sont placés.

«Ils sont allés au foyer, car moi, je n’étais pas en état et eux étaient beaucoup trop violents», affirme-t-elle. La maman reconnaît qu’elle a aussi levé la main deux fois sur sa fille et deux fois sur son fils en quatre mois face à leur comporteme­nt ingérable et un entourage qui s’est écarté : « Mon fils me griffait à m’arracher la peau, je suis allée aux urgences. Ma fille m’a jeté un chausson et retournait la violence contre moi. »

Après un passage devant la juge pour enfants fin octobre, le séjour en foyer a été prolongé.

« Le foyer a permis de les éloigner de la violence », précise la mère. Leurs parents leur rendent visite. Jusqu’à présent, la fratrie a semblé y trouver une stabilité. « Ma fille, qui était aussi maltraitée par ses frères, était contente d’avoir été placée. Ce serait un choc de rentrer tout de suite, a dit ma fille. Elle a réussi à se reconstrui­re au foyer», conclut Jeanne qui espère pouvoir bientôt vivre de nouveau avec eux. L’audience concernant leur garde aura lieu prochainem­ent.

(*) Le prénom a été modifié.

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Ch. G Les sapeurs-pompiers sont restés sur place plusieurs heures pour éviter une reprise de l’incendie.

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