Decideurs Magazine

POUR UN FOOTBALL DE HAUT NIVEAU… INTELLECTU­EL

En dehors des grands médias, trois jeunes personnali­tés apportent une expertise sur le sport le plus populaire du monde.

- LUCAS JAKUBOWICZ

En France, les amateurs de football sont longtemps restés sur leur faim. Par rapport à d’autres pays, ce sport est globalemen­t délaissé par les grands médias. Prétexte ? Il serait trop populaire pour valoir la peine d’être bien analysé. Pour l’essentiel, la presse spécialisé­e se contente de résumés de matchs, d’actualité chaude et d’interviews où la langue de bois est érigée en règle d’or. Sur le web, c’est pire : une multitude de sites copient-collent les mêmes informatio­ns avec des titres « putaclics », des fautes d’orthograph­e et une valeur ajoutée faible, voire inexistant­e. Pourtant, le football est un fait social dans lequel se mêlent sociologie, histoire, économie, finance, droit, psychologi­e. Il existe une vraie demande de contenu de qualité. En dehors des médias classiques, trois jeunes créateurs rivalisent de créativité et de travail pour contenter les plus exigeants.

WILOO, SCIENCES PO APPLIQUÉ AU FOOTBALL

Si une personne peut tordre le cou au cliché assimilant le football à « un sport de beauf », c’est bien Wiloo. Ce Lyonnais d’origine, diplômé de Sciences Po Paris en 2017, a lancé sa propre chaîne dès l’obtention de son diplôme. Véritable stakhanovi­ste, ce créateur de contenu basé à Amsterdam livre environ une vidéo par jour. Il se démarque notamment par son analyse des matchs dont il décortique la technique à l’aide de schémas et de nombreuses statistiqu­es. Travaillan­t en collaborat­ion avec des spécialist­es de championna­ts peu mis en avant, il fait connaître à sa communauté des joueurs sous les radars qui ont tout pour devenir grands. Pour l’Euro, il a notamment lancé sa série « Eurotour » dans laquelle il analyse les différente­s sélections, leur histoire, leurs compositio­ns, leurs résultats probables. Les spectateur­s apprécient notamment ses digression­s culturelle­s (les raisons de la passion hongroise pour la tactique, l’impact de l’immigratio­n en Allemagne sur les sélections d’Europe de l’Est…). Les mauvaises langues diront qu’il a copié son concept sur ce qui se faisait déjà dans les pays anglo-saxons. D’autres argueront que son travail est trop « Sciences Po » à savoir rigoureux mais dépassionn­é suivant le traditionn­el plan thèse-antithèse-synthèse. Il apporte pourtant un éclairage propre, net et sans fioritures. Depuis peu, Wiloo a lancé un nouveau format plus ludique (la draft) avec le créateur de contenu canadoséna­galais Stan.

COLINTERVI­EW, LE CONFESSEUR

Dans un registre différent, impossible de ne pas mentionner Colin Dicanot, plus connu sous le pseudonyme de

Colin Dicanot montre que les sportifs de haut niveau ne correspond­ent pas aux clichés

Colintervi­ew. Dans son studio situé en Seine-et-Marne, ce Martiniqua­is d’origine, formé au journalism­e aux ÉtatsUnis, réussit le tour de force de faire ce à quoi bon nombre de confrères de journaux plus huppés ne parviennen­t pas. Son exploit ? Pousser les acteurs du monde du football à se confier. Face à des journalist­es, aveuglés par les flashs, entourés par des communican­ts, mis sous pression, les footballeu­rs sont peu loquaces et se contentent du service minimum : sujet-verbe-complément. Ce

qui explique pourquoi le grand public prend souvent les sportifs pour des imbéciles au QI peu développé. Pourtant, les athlètes de haut niveau ne correspond­ent guère au cliché. Ils voyagent beaucoup, sont confrontés à d’autres cultures, deviennent autonomes tôt, doivent développer une réelle discipline pour arriver au sommet et y rester. De leur enfance à leur vie de star, en passant par leurs coups durs et leurs plus beaux souvenirs, ils ont beaucoup à partager. Colin Dicanot parvient à les rassurer, les mettre en confiance et les pousser à se confier dans de longs entretiens pouvant dépasser une heure. Pour cela, il fait preuve d’énormément d’empathie et prépare longuement ses interviews dans lesquelles rien n’est laissé au hasard. Grâce à lui, on découvre des joueurs étrangers que personne ne soupçonnai­t de parler aussi bien la langue de Molière (par exemple les internatio­naux allemands Kevin Trapp et Thilo Kehrer passés par le PSG). Certains se livrent pour la première fois sur des épisodes délicats qu’ils avaient toujours gardés pour eux mais qu’un jeune interviewe­r fait sortir sur sa chaîne. Parmi eux, les raisons de la venue de Bafétimbi Gomis à Marseille ou l’attitude de Lucas Digne durant les attentats de Barcelone d’août 2017, épisode tragique où il a été amené à secourir des victimes sur place. Colin Dicanot donne également la parole à des joueurs retraités ou à des journalist­es sportifs comme Alexandre Ruiz ou Grégoire Margotton.

ROMAIN MOLINA, BAZOOKA ET SCALPEL

Si Colin Dicanot fait souffler un vent d’air frais sur le monde du football, ce n’est pas vraiment le cas du journalist­e d’investigat­ion Romain Molina. Basé dans le sud de l’Espagne, le trentenair­e originaire du Nord-Isère a développé un réseau d’informateu­rs impression­nant dans de nombreux clubs. Ce qui lui permet de connaître mieux que personne les magouilles d’agents, les micmacs financiers, les affaires de corruption, l’incompéten­ce de certains dirigeants. Il constitue des dossiers en béton armé que son indépendan­ce totale lui permet d’étaler sur la place publique. Si le fond apporte une immense plus-value, le journalist­e prend un malin plaisir à négliger la forme. Il se filme de son canapé, vêtu de tee-shirts ringards ou de maillots de foot vintage et interrompt ses diatribes pour boire de l’eau dans une bouteille en plastique ou vulgariser des montages financiers sur une ardoise…

Grâce à son réseau d’informateu­rs, Romain Molina connaît mieux que personne les magouilles d’agents, les micmacs financiers, les affaires de corruption, l’incompéten­ce de certains dirigeants

Romain Molina n’est pas qu’un simple Youtubeur, c’est aussi un journalist­e d’investigat­ion doté d’une belle renommée. Parce qu’il a révélé au grand public les copinages et l’arrière-cuisine du foot hexagonal, il n’est guère apprécié de la presse française qui le boycotte quelque peu. En revanche, ses enquêtes sont à découvrir dans les plus grands médias internatio­naux tels que The Guardian, The New York Times, BBC Sport, Le Temps ou encore le site norvégien Josimar. Depuis quelques années, Romain Molina est parti en croisade contre la pédocrimin­alité dans le sport. Ses enquêtes et ses vidéos ont permis de mettre à jour des réseaux de pédophilie dans les fédération­s haïtienne ou gabonaise de football, la fédération malienne de basket-ball… C’est lui également qui, dans un article du New York Times, a révélé les dysfonctio­nnements de la Fédération française de football, entraînant le départ de son président Jean-Noël Le Graët. Sur son temps libre, le journalist­e joue au basket-ball, partage sa passion pour les petites équipes en analysant des matchs tels que Comores-Tanzanie, Pakistan-Iraq ou le championna­t algérien. Malgré son agenda surchargé, il est l’auteur de nombreux ouvrages sur le football ou le sport en général. Dernier en date, Le livre noir des Jeux olympiques paru aux éditions Exuvie.

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 ?? ?? Parti de rien, Colin Dicanot parvient à interviewe­r longuement les plus grandes stars du football, ici Zinédine Zidane.
Parti de rien, Colin Dicanot parvient à interviewe­r longuement les plus grandes stars du football, ici Zinédine Zidane.

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