Challenges

Ouvrir l’oeil en orbite

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Général Michel Friedling

Fondateur de la start-up Look Up Space, l’ex-commandant de l’espace alerte sur les risques de la multiplica­tion des débris autour de la Terre. Extraits (p. 173-177).

Le 10 février 2009, une collision en orbite fut un électrocho­c pour la communauté spatiale. Cosmos 2251 et Iridium 33 étaient deux satellites de télécommun­ication de masses respective­s de 560 et 950 kilogramme­s. Ils se percutèren­t au-dessus de la Sibérie à 789 kilomètres d’altitude. Tous deux furent instantané­ment pulvérisés et détruits. Le choc produisit deux longues nuées de débris qui poursuivir­ent leur route et se dispersère­nt dans les orbites voisines. Au total, la collision créa 2 300 objets de plus de 10 centimètre­s et de très nombreux autres plus petits.

L’accident ouvrit les yeux des opérateurs spatiaux. L’augmentati­on de la population orbitale, qui n’a cessé de s’accélérer depuis, induit des risques croissants. Jusqu’en 2007, près de 220 nouveaux objets étaient envoyés dans l’espace chaque année. Dans les années 2010, ce rythme a crû progressiv­ement pour atteindre environ 1 000 par an. Depuis, il a encore bondi avec la mise en oeuvre des projets de mégaconste­llations OneWeb, Starlink, Kuiper aux EtatsUnis, Iris2 en Europe, GW en Chine. Plusieurs dizaines de milliers de satellites seront ainsi en orbite d’ici à 2030. La question n’est plus de savoir si une nouvelle collision peut se produire, mais quand. Une étude réalisée par une équipe internatio­nale à l’occasion de l’édition 2020 du Congrès internatio­nal d’astronauti­que a ainsi établi une liste de 5000 très gros débris (plusieurs centaines de kilogramme­s à plusieurs tonnes), dont 3000 satellites en fin de vie et 2 000 étages de lanceur laissés à l’abandon. Grâce à des modèles statistiqu­es, on estime par ailleurs à 1 million le nombre de débris de 1 à 10 cm, et à 150 millions celui de débris de plus d’1 millimètre.

A 800 km d’altitude, un objet en orbite met presque 100 ans pour retourner seul dans l’atmosphère terrestre. A 1 200 km, 2 000 ans sont nécessaire­s. La multiplica­tion des débris est porteuse de catastroph­es futures. Même de petite taille, ils représente­nt un sérieux danger : un unique débris de quelques centimètre­s peut mettre hors service un satellite. Avec une vitesse relative de 15 kilomètres par seconde au moment du choc, l’énergie dégagée par un objet d’1 millimètre est équivalent­e à celle d’une boule de bowling lancée à 100 km/h. Un débris d’un centimètre dégage l’énergie d’une automobile lancée à 130 km/h. Suffisant pour endommager gravement un panneau solaire ou fracasser un ordinateur de bord. Un débris de 10 centimètre­s, dont le choc dégage une énergie équivalent­e à 240 kilogramme­s d’explosif TNT, peut quant à lui détruire purement et simplement un satellite, et générer un nouveau nuage de débris. De puissants blindages sont installés sur les vaisseaux habités tels que la station spatiale internatio­nale et certains très gros satellites militaires américains. Cependant, ils ne sont efficaces que contre les petits débris de taille inférieure à 1 centimètre. Il suffit d’un morceau de métal de la taille d’une balle de golf pour les enfoncer. La multiplica­tion de ces petits objets en orbite est donc une sérieuse menace pour la pérennité de l’activité spatiale. Un nouvel événement tel que celui de 2009 pourrait n’être que le premier maillon d’une chaîne de collisions générant à leur tour de nouveaux débris. C’est ce qu’on appelle le « syndrome de Kessler » [un astrophysi­cien de la Nasa qui évoquait ce risque dès 1978].

«Un débris de 10 centimètre­s, dont le choc dégage une énergie équivalent­e à 240 kg d’explosif TNT, peut détruire purement et simplement un satellite.»

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