La grande distribution se met à la diète forcée
Prenant acte de la fin des négociations annuelles avec les fournisseurs, les grandes surfaces s’apprêtent à puiser dans leurs ressources pour limiter la hausse à la caisse.
Dans les hyper- et supermarchés, 2023 aura été l’année de la folle escalade des prix; 2024 ne sera pas celle de leur dégringolade. Alors que les négociations annuelles entre la grande distribution et ses fournisseurs se sont achevées le 31 janvier, Michel-Edouard Leclerc a annoncé une inflation alimentaire de 2 à 3% dans ses centres pour cette année. Dans les rayons, la réalité sera hétérogène : l’huile de colza pourrait coûter moins cher, mais pas le cacao ni le café, dont les cours ont respectivement flambé de 46% et de 24% l’an dernier. Pourtant, selon Olivier Salomon, associé chez AlixPartners, « on a atteint la limite de l’acceptation du consommateur. Ce qui a été fait ces dix-huit derniers mois n’est pas réplicable ».
Impossible, donc, d’infliger encore de fortes hausses aux Français, sous peine qu’ils remplissent moins leur chariot. Ce qu’ils ont commencé à faire. Mais face à la colère des agriculteurs, impossible aussi de payer moins cher les fournisseurs. Quelles solutions reste-t-il alors aux supermarchés ? Réduire leurs marges ? « C’est un voeu pieux, juge Pierre-Alexandre Koch, associé spécialiste de la distribution au cabinet Kearney. Les marges nettes sont déjà très faibles [autour de 2%]. »
Réduire les coûts
Alors, les distributeurs taillent dans leurs coûts. Carrefour achèvera un plan d’un millier de départs volontaires de ses bureaux en mars. « Le nerf de la guerre reste la logistique, ajoute Thierry Desouches, porteparole de Système U. On va mieux remplir les camions, optimiser les tournées. » De son côté, Intermarché va réduire le budget de la refonte de son système informatique, qui avait dérapé, à 400 millions d’euros. Et Auchan, longtemps hostile à la franchise, va miser sur ce modèle moins onéreux, où un entrepreneur indépendant gère le magasin.
Jouer l’effet d’échelle
Certains commerçants jouent aussi la carte de l’union à l’achat dans le bras de fer contre les multinationales, comme Système U avec sa nouvelle alliance européenne, ou Intermarché avec Auchan et Casino.
« Un autre moyen d’aller chercher des effets d’échelle est de densifier son réseau », ajoute Etienne Sebaux, d’AlixPartners. Un levier actionné par Carrefour avec l’acquisition de Cora et de Match, ou par Intermarché et Auchan, qui ont mis la main sur 288 magasins Casino. Mais c’est surtout l’offre qui fera la différence. Intermarché n’exclut pas de déréférencer la soupe Knorr d’Unilever ou les chips Lay’s de PepsiCo pour renforcer son offre propre dans les linéaires. Il faut dire que les produits de marque de distributeur sont 30% moins chers, et bien plus rentables pour les commerçants. Mais Olivier Salomon nuance : « Il y a une inertie des distributeurs, ces changements prennent du temps. »
En attendant, les offres commerciales vont fleurir. « L’intensité promotionnelle restera de mise en 2024 à Auchan », annonce Benjamin Darres, directeur du plan commerce du distributeur en France.
« La promotion est un shoot d’héroïne, prévient cependant PierreAlexandre Koch. C’est efficace à court terme, mais on risque l’addiction au long cours. » La chute en 2023 du groupe Casino – lancé dans une course aux offres chocs – l’a montré : pour fidéliser le client, mieux vaut être constant. Après avoir vécu le sprint de l’inflation, la grande distribution se lance dans le marathon de la vie chère.