La dérive radicale de Modi hypothèque la réussite de l’Inde
Porté par son nationalisme religieux et ses résultats économiques, le Premier ministre brigue un troisième mandat. Mais sa tentation autocratique pourrait enrayer la dynamique.
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Politique et religion ne doivent pas être mélangées », avait édicté la Cour suprême indienne en 1994. Le principe semble avoir perdu une bonne partie de son sens depuis que Narendra Modi a inauguré en grande pompe, le 22 janvier, le temple d’Ayodhya dédié au dieu hindou Ram et construit sur les lieux d’une mosquée détruite en 1992 par les militants du Bharatiya Janata (BJP), le parti du Premier ministre. Un événement qui a lancé la campagne de Narendra Modi en vue des législatives de mai prochain, et marqué une étape décisive de l’Hindutva, ce projet de domination nationaliste hindou en oeuvre depuis plusieurs décennies. Parallèlement à ce processus d’hégémonie religieuse, Modi procède aussi à l’extraordinaire modernisation de l’Inde. Le pays enregistre la croissance la plus rapide parmi les grandes économies et se classe désormais à la cinquième place mondiale. La poussée religieuse se développe alors qu’un vent d’optimisme économique souffle sur le souscontinent. La croissance a dépassé 7 % au cours des derniers trimestres. Le pays dispose aujourd’hui d’une bien meilleure infrastructure de transport, de puissants marchés boursiers, de banques solides et d’immenses réserves de devises, tandis que le système fiscal a été simplifié et que la corruption recule. Le problème est que le chauvinisme hindou exacerbé du Premier ministre et du BJP risque de saper ces belles performances. Sous Narendra Modi, la frange radicale du BJP n’a cessé de se renforcer. Ses militants ont déclenché de sanglants pogroms antimusulmans. Plusieurs Etats gérés par le BJP ont voté des lois interdisant les conversions et le Premier ministre a fait adopter une loi discriminant les musulmans. Il s’est par ailleurs attaqué aux piliers du traditionnel ordre libéral indien, harcelant la presse, les organisations caritatives, les cercles de réflexion, certains tribunaux et de nombreux opposants politiques. Si Modi obtient en mai, comme c’est quasiment certain, un troisième mandat, beaucoup redoutent de voir le projet Hindutva aller plus loin. Jusqu’à présent, sa confortable majorité et la popularité de Modi lui ont permis de faire passer des réformes difficiles, et l’unité du gouvernement a suscité la confiance des investisseurs. Mais si un troisième mandat devait renforcer l’Hindutva et la gouvernance autocratique du Premier ministre, l’ambiance pourrait changer. La stabilité économique doit dépendre de la présence à la tête de l’Etat de technocrates crédibles, pas d’idéologues du BJP. Si les décisions venaient à être prises de façon de plus en plus autoritaire et erratique, et si les institutions étaient de plus en plus affaiblies, les entreprises hésiteront à déployer leurs capitaux.
A la veille de son troisième mandat, Modi doit prendre conscience que pour réaliser son rêve de faire de l’Inde une grande puissance, il doit préserver le bon équilibre entre politique et nécessités économiques. S’il n’y parvenait pas, il briserait les espoirs d’1,4 milliard d’Indiens et mettrait en péril la perspective de voir son pays se hisser sur le devant de la scène économique mondiale. •
Si la gouvernance devenait plus autoritaire et erratique, les entreprises hésiteront à déployer leurs capitaux.