Kaléidoscope politique
En analysant le vote des Français sous toutes les coutures, le sociologue raconte aussi avec finesse les territoires et leurs transformations. Extraits (pages 155-159).
Jérôme Fourquet
Depuis plusieurs décennies, le vote FN/ RN est solidement ancré dans la basse vallée du Rhône. Lors de l’élection présidentielle de 2022, Marine Le Pen a viré en tête dans quasiment toutes les communes situées entre PortSaint-Louis-du-Rhône, où le fleuve se jette dans la Méditerranée, et Livron-sur-Drôme, aux portes de Valence. Ce territoire se caractérise par sa fonction historique de couloir de circulation. Sur la rive gauche passent depuis longtemps la célèbre nationale 7 chantée par Charles Trenet, mais aussi l’autoroute A7, dite du Soleil, ainsi que la ligne TGV. Si, pour des millions de Français, ces axes de circulation sont synonymes de vacances et de loisirs, la basse vallée du Rhône ne constitue qu’un espace qu’on traverse sans y prêter attention, une sorte de no man’s land.
La petite ville du Teil, en Ardèche, est le berceau du cimentier Lafarge, qui y dispose toujours d’unités de production. Un peu plus au nord, toujours en Ardèche, des usines chimiques sont implantées à Tournon. L’industrie nucléaire est également très bien représentée avec les centrales de CruasMeysse (Ardèche) et du Tricastin (Drôme) ainsi qu’avec le site nucléaire dans la région de Marcoule, dans le Gard. Si l’eau du Rhône est utilisée pour le refroidissement des réacteurs, le fleuve est également mis à contribution pour la production d’hydroélectricité avec, dans cette basse vallée du Rhône, les barrages de Donzère-Mondragon (Vaucluse) et de Vallabrègues (Gard). De par sa fonction d’axe de circulation et de transit majeur, cette région accueille également de nombreux entrepôts logistiques, notamment à Albon dans la Drôme; mais aussi au nord de Valence (Portes-lès-Valence, Loriol-sur-Drôme) ou au Pouzin, en Ardèche. Les sociétés de transport routier, les logisticiens et les acteurs de la grande distribution (Intermarché et Casino) sont implantés dans cette partie du couloir rhodanien, tout comme Amazon qui emploie 800 salariés sur sa plateforme de Montélimar.
Le corridor du bas-Rhône a connu de surcroît une croissance démographique assez soutenue, qui contraste avec la relative atonie observée dans les zones les plus éloignées du fleuve. La présence d’infrastructures routières de premier ordre, permettant de se rendre rapidement dans les grandes agglomérations de la région, associée à un prix du foncier relativement abordable, constitue manifestement un produit d’appel susceptible d’attirer les actifs qui y font volontiers construire leurs logements. Ainsi, depuis deux ou trois décennies, les constructions et lotissements nouveaux sont sortis de terre autour des centres-bourgs, conférant à ces espaces l’aspect d’un vaste couloir périurbanisé.
Hormis les villes (Valence, Montélimar, Avignon, etc.), la plupart des communes de la basse vallée du Rhône sont donc marquées par les activités logistiques ou productives ainsi que par un urbanisme récent et bon marché visant à répondre à la croissance démographique. Le contraste paysager et sociologique est souvent saisissant entre les communes situées sur les rives du Rhône et celles qui en sont un peu plus éloignées ; ces dernières offrent souvent un cadre architectural plus traditionnel et plus préservé, souvent propice au développement d’activités liées au tourisme et/ou à l’immobilier résidentiel.
Marine Le Pen a viré en tête dans quasiment toutes les communes situées entre Port-SaintLouis-duRhône, où le fleuve se jette dans la Méditerranée, et Livron-surDrôme, aux portes de Valence.