Renaître après Hitler
Une captivante fresque sociale éclaire la mentalité allemande dans la décennie suivant la Seconde Guerre mondiale.
Comment vivre après avoir été le peuple bourreau des juifs ? Comment retrouver les gestes du quotidien? Comment penser après pareil désastre ? Comment les artistes peuvent-ils à nouveau s’exprimer, exprimer la mortification d’une nation, par exemple en privilégiant l’abstraction ? Comment faire l’amour dans l’Allemagne de l’aprèsguerre, cette Allemagne où les femmes ne supportent pas le retour à la traditionnelle autorité masculine ? Une interrogation plus essentielle qu’il n’y paraît car elle dessinera aussi la « nouvelle » société allemande.
Pour tenter de répondre à ces interrogations, Harald Jähner, longtemps l’un des journalistes les plus influents d’Allemagne, a écrit ce livre magnifique et essentiel, Le Temps des loups, enfin traduit en français. Une histoire des mentalités, une fresque sociale et culturelle. Mais que reste-t-il de cette lecture dont on ne parvient pas à se détacher ? Ce ne sont pas forcément les 40 millions de déplacés ou de réfugiés ; ce ne sont pas les 500 millions de mètres cubes de décombres; ce n’est pas cette façon malhabile de confondre le bourreau et la victime, de se considérer comme victime plutôt que bourreau. Non, ce qui reste à jamais, c’est le silence, qui s’est abattu sur l’Allemagne. Silence « impressionnant », précise l’auteur, silence d’un peuple qui, pour survivre, a choisi, dans la décennie post-hitlérienne de s’autoamnistier. Mais aurait-il pu en être autrement ?
Avant de reconstruire, il s’agit de survivre dans un pays que les Alliés occupent, un pays bientôt divisé estouest, un pays et un peuple qui refusent tout travail de mémoire, un peuple au sein duquel les nazis et même leur trace ont soudain disparu. Harald Jähner ne s’autorise pas une lecture idéologique de cette décennie. Il construit son récit avec une infinie minutie, chacun de ses personnages exprimant une part d’Allemagne. Cette lecture est indispensable si nous voulons savoir avec qui nous sommes désormais alliés indéfectibles, frères européens. Encore faut-il savoir d’où viennent ces frères. Cet opus y contribue. Puissamment. •