Des modèles économiques pleins de promesses
Les mini-réacteurs visent une multitude d’applications pour décarboner l’énergie. Avec une rentabilité fondée sur un design simplifié et des coûts réduits. Mais à condition d’arriver dans les temps…
C’est l’emballement autour des mini-réacteurs nucléaires (SMR en anglais). Encore largement à l’état de concepts qui ne se concrétiseront pas avant une dizaine d’années, ils électrisent les industriels du secteur, attirent les start-up, séduisent les investisseurs. C’est que leur marché potentiel est énorme : pour limiter le réchauffement climatique, il s’agit de sortir au plus vite du charbon, du pétrole et du gaz, qui représentent aujourd’hui plus de 80 % de l’énergie utilisée dans le monde. Certes, les énergies renouvelables sont devenues une alternative décarbonée efficace : en France, en dix ans, les prix du solaire ont été divisés par quatre et ceux de l’éolien quasiment par deux, offrant un tarif comparable, voire inférieur au nucléaire « historique », à 60 euros le mégawattheure (MWh). Et, sur le long terme, ils vont continuer de baisser, contrairement à ceux du nucléaire car « les tarifs s’appuient aujourd’hui sur des centrales amorties qui fermeront d’ici vingt ans, mais ils vont s’envoler pour les nouvelles centrales aux normes de sécurité renforcées post-Fukushima », souligne Yves Marignac, de l’association antinucléaire négaWatt. Sauf que les SMR introduisent un changement de paradigme. « Leur large gamme de puissance, leur petit encombrement qui permet de les installer partout, leur sûreté intrinsèque et leur éventail de technologies élargissent leur marché potentiel, ouvrant des opportunités inaccessibles au “gros nucléaire” comme aux énergies renouvelables », explique Michel Berthélemy, de l’Agence pour l’énergie nucléaire, de l’OCDE. Par exemple, le marché de la chaleur industrielle. Pour la papeterie, la verrerie, la métallurgie, la chimie, la cimenterie ou l’agroalimentaire, « la chaleur représente près de 75 % de leur
consommation énergétique, obtenue en brûlant du charbon ou du gaz, et ces industries sont coincées pour décarboner, faute d’alternative à un prix raisonnable, expose Antoine Guyot, patron de la start-up Jimmy, qui développe un réacteur à haute température (lire p. 78). L’électricité n’est pas une solution très efficace, le biogaz et l’hydrogène sont encore peu disponibles. »
Or, justement, la fission nucléaire produit originellement de la chaleur : en supprimant sa conversion en électricité, on élimine les équipements afférents et on améliore le rendement, ce qui permet de tirer les prix vers le bas, jusqu’à 40 euros le MWh « thermique ». Et il existe dans le monde plus de 10 000 sites industriels très consommateurs de chaleur et donc très polluants. Au Texas, Dow Chemical a déjà signé un accord avec une start-up, X-energy, pour implanter un SMR sur son site. D’autres visent le marché, également prometteur, du chauffage urbain pour le compte des collectivités locales, avec de petites chaudières nucléaires en périphérie des villes.
Autre débouché intéressant, réservé aux réacteurs taille XS : la propulsion nucléaire pour les 5000 gros cargos porte-conteneurs qui aujourd’hui naviguent au fioul lourd. Les SMR, transportables, nécessitent un rechargement en combustible tous les dix ans seulement. Ils pourraient donc alimenter des zones isolées (la Russie opère déjà une mini-centrale flottante en Sibérie, lire p. 90), voire des régions des pays en développement qui n’ont pas de grand réseau de transport électrique et recourent aujourd’hui à des groupes électrogènes à essence. Plusieurs pays asiatiques et africains ont manifesté leur intérêt, notamment pour alimenter des mines ou une usine de dessalement de l’eau de mer (17 000 dans le monde).
Avantages en série
Les plus gros SMR peuvent également remplacer les centrales à charbon (on en compte 2400 dans le monde) ou à gaz, avec, si on les compare aux fermes solaires ou éoliennes ou aux gros réacteurs, l’avantage de prendre le relais place pour place. Enfin, les SMR peuvent, comme les autres sources d’électricité bas carbone, être utilisés pour produire des carburants verts, de l’hydrogène, de l’ammoniac, ou du fuel de synthèse.
Encore faut-il que leur prix soit compétitif. Jusqu’ici, l’industrie nucléaire a vu toujours plus grand pour faire des économies d’échelle – plus la taille du réacteur augmente, plus le coût de production du MWh baisse. Mais les dérives budgétaires dans les chantiers des nouveaux réacteurs – les EPR de Flamanville en Normandie, Hinkley Point en Angleterre uuu
uuu et l’AP1000 de Westinghouse aux Etats-Unis – ont fait grimper le prix du MWh autour de 110 euros, et donc fait réfléchir.
Les SMR suivent un autre modèle, misant sur les économies de la fabrication en série. Leur rentabilité passe par un design simplifié – leur faible puissance et leur technologie permettent de garantir une sûreté « par nature », sans les systèmes complexes et coûteux de sécurité des EPR – et surtout par la standardisation, avec des composants fabriqués en série en usine et assemblés sur place. Les coûts de maintenance seraient également réduits. Ainsi, tous les projets prévoient des prix compétitifs, autour de 60 euros le MWh électrique.
Le test de la certification
Cependant, le revers de la start-up américaine NuScale a de quoi effrayer : ses clients l’ont lâchée face à l’explosion des coûts. En cause, notamment, les frais de dossier pour obtenir la certification de l’autorité de sûreté américaine (lire p. 86). « Les concepts des SMR sont enchanteurs sur PowerPoint mais, avec l’atome, le passage à la réalité est généralement ruineux », tacle Yves Marignac. « Les coûts d’un démonstrateur pionnier sont toujours assez incontrôlables et peu prédictifs du coût commercial. Ça ne remet pas en cause l’intérêt du projet », relativise l’investisseur Pâris Mouratoglou (lire p. 64). Les start-up françaises anticipent un investissement total entre 300 millions et 3 milliards d’euros pour monter leur filière sur dix ans. Il leur faut donc des investisseurs et des clients solides et prêts à prendre des risques. Et, surtout, teniir le calendrier : après 2030, ce sera déjà tard sur nombre de ces marchés. La certification est un premier « crash test » majeur, sachant que certains concepteurs de SMR développent des technologies prometteuses (sels fondus, neutrons rapides) – mais bien moins éprouvées que celles de NuScale – et ont donc plus de travail à fournir pour démontrer leur sûreté aux régulateurs nationaux. Qui doivent de leur côté réviser leurs méthodes pour ne pas étouffer l’innovation, et harmoniser leurs règles pour permettre les ventes à l’international.
Les défis du combustible
Les start-up développant des options techniques nouvelles font aussi face au défi de l’approvisionnement en uranium, qui n’est pas de la même qualité que celui des centrales classiques. Ainsi, Newcleo et Naarea viennent d’annoncer une alliance à la fois pour partager certains coûts de R&D et certaines parties de leur dossier soumis à l’Autorité de sûreté nucléaire, et pour monter une même filière d’approvisionnement de leur combustible. Jimmy prévoit aussi, de son côté, de construire sa propre usine de combustible.
Enfin, nul ne sait combien de miniréacteurs il faut fabriquer et exploiter pour profiter de l’effet de série nécessaire à la rentabilité. « On peut imaginer qu’il y aura, au final, une petite dizaine des marchés adressables et deux ou trois leaders sur chacun », estime Michel Berthélemy. Il n’y aura donc pas de place pour tout le monde dans ce rêve d’une énergie du futur abondante, propre et bon marché.
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