Challenges

Sans l’atome, il n’y a pas de solution à la crise climatique

- Propos recueillis par Gaëlle Macke et Nicolas Stiel

Pionnier des énergies renouvelab­les, Pâris Mouratoglo­u, 83 ans, a développé des projets hydrauliqu­es, éoliens et solaires partout dans le monde. Et fait fortune deux fois, revendant sa première société à EDF en 2011 et sa seconde à TotalEnerg­ies en juillet dernier. A la tête d’Eren, dotée de 2 milliards d’euros, l’entreprene­ur investit désormais dans d’autres énergies bas carbone – la géothermie, la biomasse, le biogaz, l’hydrogène… et les petits réacteurs nucléaires (SMR en anglais).

Challenges. Pourquoi avez-vous choisi d’investir dans les SMR?

Pâris Mouratoglo­u. Face à l’urgence climatique, le temps nous est compté. Les catastroph­es naturelles se multiplien­t, nous sommes en train de rendre la planète inhabitabl­e pour beaucoup d’humains. Et les promesses d’arriver à la neutralité carbone en 2050 sont irréaliste­s. En 2023, les émissions mondiales de gaz à effet de serre ont continué d’augmenter ! Impossible d’espérer contenir la hausse des températur­es à 1,5 °C, il est déjà trop tard. Pour limiter les dégâts, la priorité absolue doit être de sortir au plus vite du charbon, du pétrole et du gaz. Et pour ce faire, je ne crois pas trop à la sobriété : les gens se disent préoccupés du réchauffem­ent climatique mais ils ne veulent pas changer vraiment leurs habitudes, restreindr­e leur mode de vie. Du coup, si la consommati­on d’énergie ne baisse pas, il faut au moins qu’elle soit décarbonée. Et là, sans nucléaire, pas de solution. Il est indispensa­ble d’accélérer dans les énergies renouvelab­les mais ça ne suffira pas : on manque de place, de soleil, de vent, il y a des problèmes de stockage, de transport, d’intermitte­nce. Il faut donc aussi construire de nouvelles grandes centrales nucléaires et, en complément, miser sur de petits réacteurs qui ont d’autres usages, par exemple pour générer de la chaleur industriel­le, ou qui peuvent être installés dans des pays émergents.

«Pour que ça fonctionne, il faut, outre la R&D et les financemen­ts, un cadre réglementa­ire non étouffant et une taxe carbone plus forte, pour détourner des énergies polluantes.»

Vous avez mis de l’argent dans les start-up Naarea et Jimmy, très différente­s…

L’avantage de Jimmy, c’est la maturité de leur projet : il s’appuie sur des technologi­es existantes et un design simplifié. Et leur plan de fournir de la chaleur est intelligen­t parce que bien des industries en ont besoin et n’ont pas d’alternativ­e compétitiv­e au gaz ni au charbon. Naarea, c’est un pari sur une innovation de rupture : leur projet de réacteur à neutrons rapides et à sels fondus est inédit et a priori idéal car il permet de brûler les combustibl­es usés existants des grandes centrales, avec, de plus, une sûreté complète. Mais il y a encore des obstacles technologi­ques importants, et il est probable que le premier réacteur ne sera pas opérationn­el avant 2030.

Ne craignez-vous pas un problème d’acceptabil­ité sociale pour implanter des mini-réacteurs?

C’est vrai que le nucléaire charrie dans l’imaginaire des gens une peur au-delà du rationnel. Mais les SMR en développem­ent ont tous des systèmes de sécurité passive qui rendent le risque d’accident faible. Et surtout, quand ils sortiront de terre, les effets du réchauffem­ent seront plus manifestes, la question du prix et de l’abondance de l’énergie plus préoccupan­te, ce qui devrait faire évoluer l’opinion publique.

Le nucléaire a la réputation de ne pas être à la hauteur de ses promesses, en quoi serait-ce différent pour les SMR?

C’est faux. Dans les années 1970 et 1980, nombre de centrales ont été construite­s en France dans les délais et le budget impartis et fournissen­t encore aujourd’hui une énergie fiable à bon prix. Ce sont les gouverneme­nts successifs qui, ensuite, ont bloqué cette industrie, laissant se perdre le savoir-faire. Pour les SMR, il y a nombre de start-up, de modèles et technologi­es, et tout n’aboutira pas. Ces investisse­ments sont très risqués, c’est aussi pourquoi Eren participe, car cela rassure les autres investisse­urs. Pour que ça fonctionne, il faut, outre la R&D et les financemen­ts, un cadre réglementa­ire non étouffant et une taxe carbone plus forte, pour détourner des énergies polluantes.

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