Sans l’atome, il n’y a pas de solution à la crise climatique
Pionnier des énergies renouvelables, Pâris Mouratoglou, 83 ans, a développé des projets hydrauliques, éoliens et solaires partout dans le monde. Et fait fortune deux fois, revendant sa première société à EDF en 2011 et sa seconde à TotalEnergies en juillet dernier. A la tête d’Eren, dotée de 2 milliards d’euros, l’entrepreneur investit désormais dans d’autres énergies bas carbone – la géothermie, la biomasse, le biogaz, l’hydrogène… et les petits réacteurs nucléaires (SMR en anglais).
Challenges. Pourquoi avez-vous choisi d’investir dans les SMR?
Pâris Mouratoglou. Face à l’urgence climatique, le temps nous est compté. Les catastrophes naturelles se multiplient, nous sommes en train de rendre la planète inhabitable pour beaucoup d’humains. Et les promesses d’arriver à la neutralité carbone en 2050 sont irréalistes. En 2023, les émissions mondiales de gaz à effet de serre ont continué d’augmenter ! Impossible d’espérer contenir la hausse des températures à 1,5 °C, il est déjà trop tard. Pour limiter les dégâts, la priorité absolue doit être de sortir au plus vite du charbon, du pétrole et du gaz. Et pour ce faire, je ne crois pas trop à la sobriété : les gens se disent préoccupés du réchauffement climatique mais ils ne veulent pas changer vraiment leurs habitudes, restreindre leur mode de vie. Du coup, si la consommation d’énergie ne baisse pas, il faut au moins qu’elle soit décarbonée. Et là, sans nucléaire, pas de solution. Il est indispensable d’accélérer dans les énergies renouvelables mais ça ne suffira pas : on manque de place, de soleil, de vent, il y a des problèmes de stockage, de transport, d’intermittence. Il faut donc aussi construire de nouvelles grandes centrales nucléaires et, en complément, miser sur de petits réacteurs qui ont d’autres usages, par exemple pour générer de la chaleur industrielle, ou qui peuvent être installés dans des pays émergents.
«Pour que ça fonctionne, il faut, outre la R&D et les financements, un cadre réglementaire non étouffant et une taxe carbone plus forte, pour détourner des énergies polluantes.»
Vous avez mis de l’argent dans les start-up Naarea et Jimmy, très différentes…
L’avantage de Jimmy, c’est la maturité de leur projet : il s’appuie sur des technologies existantes et un design simplifié. Et leur plan de fournir de la chaleur est intelligent parce que bien des industries en ont besoin et n’ont pas d’alternative compétitive au gaz ni au charbon. Naarea, c’est un pari sur une innovation de rupture : leur projet de réacteur à neutrons rapides et à sels fondus est inédit et a priori idéal car il permet de brûler les combustibles usés existants des grandes centrales, avec, de plus, une sûreté complète. Mais il y a encore des obstacles technologiques importants, et il est probable que le premier réacteur ne sera pas opérationnel avant 2030.
Ne craignez-vous pas un problème d’acceptabilité sociale pour implanter des mini-réacteurs?
C’est vrai que le nucléaire charrie dans l’imaginaire des gens une peur au-delà du rationnel. Mais les SMR en développement ont tous des systèmes de sécurité passive qui rendent le risque d’accident faible. Et surtout, quand ils sortiront de terre, les effets du réchauffement seront plus manifestes, la question du prix et de l’abondance de l’énergie plus préoccupante, ce qui devrait faire évoluer l’opinion publique.
Le nucléaire a la réputation de ne pas être à la hauteur de ses promesses, en quoi serait-ce différent pour les SMR?
C’est faux. Dans les années 1970 et 1980, nombre de centrales ont été construites en France dans les délais et le budget impartis et fournissent encore aujourd’hui une énergie fiable à bon prix. Ce sont les gouvernements successifs qui, ensuite, ont bloqué cette industrie, laissant se perdre le savoir-faire. Pour les SMR, il y a nombre de start-up, de modèles et technologies, et tout n’aboutira pas. Ces investissements sont très risqués, c’est aussi pourquoi Eren participe, car cela rassure les autres investisseurs. Pour que ça fonctionne, il faut, outre la R&D et les financements, un cadre réglementaire non étouffant et une taxe carbone plus forte, pour détourner des énergies polluantes.