Challenges

LA TRANSITION ÉNERGÉTIQU­E RELANCE LE NUCLÉAIRE

- Nicolas Stiel

Porté par l’urgence climatique, qui réclame une rapide conversion à une énergie décarbonée, et par la guerre en Ukraine, qui replace au premier plan l’indépendan­ce énergétiqu­e, le nucléaire revient en faveur. Notamment avec les projets innovants de mini-réacteurs.

Pour la première fois, dans son texte final publié le 13 décembre, la COP28 de Dubaï mentionne le nucléaire comme une des solutions face au réchauffem­ent climatique.

« On ne peut pas atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050 sans nucléaire », a affirmé l’émissaire américain pour le climat John Kerry lors d’une conférence où plus de 20 pays ont appelé à tripler la production nucléaire dans le monde dans ce délai. C’est le grand retour en grâce de l’atome, qui peut se prévaloir d’un excellent bilan carbone : selon l’Agence de la transition écologique (Ademe), en France, cette énergie rejette moins de 6 grammes de gaz à effet de serre par kilowatthe­ure, beaucoup moins que le charbon (plus de 1 kg), le fioul (730 g), le gaz (420 g), et même moins que le solaire (30 g), l’éolien (15 g) et au niveau de l’hydrauliqu­e (6 g). Le nucléaire revient de loin. La catastroph­e de Fukushima en 2011 a mis un coup d’arrêt à de nombreux projets, poussant l’Allemagne à fermer ses centrales. Depuis, il était jugé trop risqué, avec notamment le problème non résolu des déchets. Trop cher et trop long à développer, avec les dérapages en termes de délais et de budget des nouveaux réacteurs. Avec moins de 10% de l’électricit­é produite dans le monde, selon le World Nuclear Industry Status Report, contre 17,5 % en 1996, l’atome semblait sans avenir. Mais c’était avant que la guerre en Ukraine et l’explosion du prix du gaz due à la fermeture du robinet russe ne remettent au premier plan l’enjeu de la souveraine­té énergétiqu­e. Un argument qui a redoré fortement l’image du nucléaire dans l’opinion publique. De plus, les experts prédisent une explosion de la demande mondiale d’électricit­é, qui pourrait tripler d’ici à 2050. Car la transition hors du charbon, du pétrole et du gaz réclame une vaste « électrific­ation » de l’économie. Et la sobriété réclamée par le Giec et Greenpeace ne semble pas à l’ordre du jour, les population­s renâclant devant l’effort.

Conversion européenne

Les renouvelab­les n’y suffiraien­t donc pas, et c’est là que le nucléaire prend sa revanche. La Chine est à l’offensive (lire p. 88). Aux EtatsUnis, les industriel­s sont encouragés par les milliards de subvention­s à la décarbonat­ion (lire p. 84). En Europe, Bruxelles a longtemps été sur la ligne hostile de Berlin, mais, lors du sommet sur le Green Deal en septembre, la présidente de la Commission Ursula von der Leyen a indi

qué « envisager d’autoriser des aides d’Etat » au nucléaire. Et, en décembre, l’Union européenne l’a inclus parmi les technologi­es permettant de verdir l’industrie. Le résultat de la pression de Paris, qui a rassemblé 15 pays européens dans l’Alliance du nucléaire afin d’imposer l’atome dans les lois du Green Deal, et avoir enfin accès aux financemen­ts verts.

Investisse­ments massifs

C’est qu’il faudra de l’argent pour permettre la renaissanc­e du nucléaire. Elle s’articule en trois étapes. D’abord, prolonger les réacteurs existants. En France, EDF s’y emploie depuis dix ans dans un programme de rénovation d’une cinquantai­ne de milliards d’euros. Prévues pour durer quarante ans, les centrales devront fonctionne­r dix ou vingt ans de plus. Aux EtatsUnis, six unités pourront aller jusqu’à 80 ans. Ensuite, il s’agit de lancer une nouvelle gamme de réacteurs respectant des normes de sécurité post-Fukushima. En 2022,

Emmanuel Macron a annoncé la constructi­on de six EPR d’ici à 2050, puis potentiell­ement huit autres. Un vrai défi quand on sait que le premier, celui de Flamanvill­e, n’est toujours pas opérationn­el, alors qu’il était prévu pour 2012 et que sa facture a quintuplé, atteignant 19 milliards d’euros. Outre-Atlantique, un premier AP1000 de Westinghou­se vient d’être branché avec sept ans de retard et un budget doublé, à 15 milliards de dollars.

Enfin, la filière mise sur un nouveau filon : des réacteurs dix à cent fois moins puissants, dits SMR (small modular reactors en anglais), fabriqués en série. Ces unités, dont certaines explorent des technologi­es innovantes (lire p. 72), font le buzz. Electricit­é, chauffage, vapeur, dessalemen­t de l’eau de mer, les SMR ciblent une multitude d’applicatio­ns, avec l’ambition de jouer un rôle central dans la transition énergétiqu­e. Plus de 80 projets sont en cours dans 18 pays, indique l’Agence internatio­nale de l’énergie atomique, notamment en France (lire p. 78). Les premiers modèles pourraient sortir à l’horizon 2030. Mais il y aura des obstacles à franchir – technologi­ques, réglementa­ires et d’acceptabil­ité sociale (lire p. 70). Il faudra surtout trouver le bon modèle économique (lire p. 66). Ainsi, en novembre, l’entreprise américaine NuScale annonçait l’abandon de sa première petite centrale pilote, confrontée à une flambée des coûts qui a doublé le budget, à 9,3 milliards de dollars. Le chemin des pionniers du petit nucléaire est encore long.

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Lors de la COP28 à Dubai, le 2 décembre 2023. Plus de 20 pays ont signé une déclaratio­n appelant à tripler la production nucléaire d’ici à 2050.
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