Espoir modéré
« C’EST BON POUR LA CROISSANCE! » Ainsi Stéphane Boujnah, l’incorrigible optimiste et président d’Euronext, nomme-t-il ses rencontres de début d’année entre économistes, banquiers et industriels pour sonder les reins et les coeurs. Les siens sont en extase et tiennent à deux chiffres : 6 000 points, le niveau de l’indice CAC 40 début 2020, et autour de 7 400 points aujourd’hui. « D’où vient cette capacité de persuasion alors que nous avons connu la crise du Covid, l’invasion de l’Ukraine, la hausse des taux et la guerre à Gaza ? » L’économiste Jean Pisani-Ferry, lui, n’est pas dupe, attribuant cette sérénité des marchés financiers à leur capacité à « surperformer aux bonnes nouvelles, et ne pas intégrer les mauvaises »… Ce qu’un de ses confrères résume d’une formule, aussi énigmatique que peu rassurante : « Combien de temps peut durer quelque chose qui ne peut pas durer ? »
Car c’est bien évidemment l’endettement des Etats et les bilans des banques centrales qui ont permis de régler la note. Et pourtant, personne ne craint une crise financière façon 2008. Une régulatrice note même la maturité, et la rapidité, avec lesquelles les sinistres bancaires de mars 2023 ont été avalés aux Etats-Unis et en Suisse. Un ténor du CAC 40 avance une cause plus rationnelle à la bonne humeur des Bourses : « Nous avons pu passer toutes nos hausses des prix, les marges ont considérablement augmenté, au point qu’on devrait plutôt réfléchir sur la déformation du partage de la valeur ajoutée au profit des entreprises. »
Bien sûr, le bras de fer anticipé entre les banques centrales et les marchés inquiète, et l’asymétrie entre Europe et Etats-Unis interroge, avec la capacité américaine à exporter de l’énergie et à attirer l’épargne et les investissements de la planète – tout le contraire du Vieux Continent. Au moment de conclure, un consensus semble se faire autour du voeu d’un sage habitué de cette assemblée : « Si, comme je le crois, nous terminons l’année 2024 avec moins de 3% d’inflation, et sans récession, ce sera extraordinaire. » Notre dossier « Marchés 2024 » (p. 62) et l’analyse de Patrick Artus (p. 64) modéreront cet espoir. Quant à Stéphane Boujnah, il ne saurait s’en satisfaire : ce bâtisseur, qui a fait en dix ans d’Euronext le premier marché européen – deux fois plus de transactions qu’à Londres, et un total de capitalisations double –, voulait délivrer un autre message, politique cette fois. L’homme de gauche met en garde contre une forme de banalisation du risque Le Pen au sein des élites. Le dernier sondage Elabe pour La Tribune justifie cet émoi : 28,5 % pour la liste RN aux européennes ; 28,5 % pour l’addition des partis derrière Jean-Luc Mélenchon ; et 18 % pour Renaissance. Cela donnerait quoi en 2027 ? Certainement pas un résultat « bon pour la croissance ».•