Méticuleux conservateur
Dans un ouvrage écrit avec des notes prises au fil des décennies, Finkielkraut revient avec courage sur ses «obsessions».
Les rabat-joie diront qu’Alain Finkielkraut radote. Dans Pêcheur de perles, le philosophe revient en effet sur les thèmes qui le hantent depuis longtemps : le dépérissement de la France, l’affaissement de l’école, la déculturation des sociétés occidentales, le destin tragique des Européens, l’antiracisme dévoyé devenu levier de l’antisémitisme régénéré. Pourtant, rien n’est plus absurde que cette critique selon laquelle Finkielkraut écrirait toujours le même livre. Ce ressassement permanent n’est-il pas souvent le propre d’une oeuvre ? Ne fait-on pas le même reproche à Philip Roth ou à Patrick Modiano ?
Cette fois, Finkielkraut a adopté une méthode inédite. Pour construire cet essai – remarquable et contestable tant il pousse parfois loin une logique passéiste –, il s’est « plongé dans les carnets de citations accumulées depuis plusieurs décennies ». Méticuleux travail qui lui permet d’ouvrir chaque chapitre sur une citation relevée chez Levinas, de Gaulle, Kundera, Arendt, Tocqueville, Thomas Mann et d’autres. Pour notre part, nous avons retenu une interrogation du philosophe et historien polonais Leszek Kolakowski : « Comment être socialisteconservateur-libéral? » Elle définit au mieux Finkielkraut et le message qu’il porte de livre en livre, avec un incontestable courage. Car il faut convenir que les analyses complexes ne sont guère de saison. Soutenir Israël de toute son âme et estimer indispensable la création d’un Etat palestinien, voilà par exemple qui perturbe bien des esprits étriqués, saturés de certitudes.
Mais la surprise de ce livre est dans ses premières pages où l’auteur fait une lumineuse déclaration d’amour à son épouse. Finkielkraut ne nous avait pas habitués à pareille intimité, même s’il finit par théoriser : « Aimer, c’est être dépendant, dominé, subjugué, assujetti. Aimer, c’est faire l’expérience inouïe d’une aliénation meilleure que la liberté […]. Sortir de l’emprise pour établir une relation contractuelle, démocratique, rigoureusement égalitaire, comme l’exige la nouvelle doxa, c’est sortir de l’amour. » Et Finkielkraut d’assumer une nouvelle polémique… •