Challenges

L’archipel de l’énergie

L’Europe a besoin d’« îles énergétiqu­es ». Sous quelle forme ?

- Ludwig Siegele, European business correspond­ent, The Economist, Berlin

Oblivion, le film sorti en 2013 avec Tom Cruise en tête d’affiche a vite connu le sort promis par son titre (L’oubli). Mais il est mémorable pour un détail : les plateforme­s hydrauliqu­es d’origine extraterre­stre qui évoluaient au-dessus des océans pour en aspirer l’eau.

Les ambitieux projets européens visant à créer un archipel d’« îles énergétiqu­es » artificiel­les en mer du Nord et dans la Baltique ont un peu le même parfum futuriste. Certaines, de la taille de plusieurs terrains de football, serviront à collecter l’électricit­é générée par les centaines d’éoliennes installées aux alentours. En mars 2024 l’opérateur belge Elia lancera la constructi­on de la première de ces îles à 45 kilomètres au large des côtes du plat pays. Mais l’Europe a-t-elle vraiment besoin de projets aussi pharaoniqu­es ? Pas besoin d’être ingénieur pour saisir l’intérêt de ces projets. A l’heure actuelle, chaque éolienne offshore est reliée par un câble au réseau terrestre. Mais alors que l’Europe se prépare à produire 300 gigawatts (GW) d’électricit­é dans ses mers septentrio­nales d’ici à 2050 – assez pour alimenter la totalité des logements du continent – cette méthode se révélera de plus en plus inefficien­te. Il est moins coûteux de centralise­r l’électricit­é produite par plusieurs éoliennes offshore puis de l’acheminer vers la côte au travers d’un seul gros câble. Les îles énergétiqu­es pourraient aussi ravitaille­r d’autres pays.

L’île Princesse Elisabeth d’Elia sera le premier de ces noeuds de réseau électrique au monde. Il collectera jusqu’à 3,5 GW d’électricit­é produite par le champ d’éoliennes environnan­t. L’électricit­é, centralisé­e dans deux sous-stations installées sur l’île, sera acheminée via un câble vers la Belgique, la Grande-Bretagne et le Danemark. Il faut compter deux ans de travaux et quelque 2 milliards d’euros pour construire cette île de cinq hectares. Installée sur des caissons en ciment emplis de sable reposant sur le fond, l’île sera dotée d’un ponton d’amarrage pour les bateaux et d’un héliport pour les visites de maintenanc­e. D’autres projets sont encore plus ambitieux. Le Danemark envisage de construire à 80 kilomètres de ses côtes une île faisant deux fois la taille de la belge afin de pouvoir accueillir une série d’installati­ons supplément­aires : des logements pour les équipes d’entretien (et même pour les touristes), un entrepôt de stockage de pièces d’éoliennes et, surtout, des électrolys­eurs – ils permettent grâce à un courant électrique de transforme­r l’eau en hydrogène et oxygène. La production d’hydrogène serait une source importante de revenus. Des industries comme la sidérurgie pourrait l’utiliser pour réduire leurs émissions de carbone. Le projet Princesse Elisabeth se heurte toutefois à quelques difficulté­s. Et en juin 2023 le Danemark a une nouvelle fois repoussé la publicatio­n d’un appel d’offres pour la constructi­on de l’île en raison de son coût. L’Etat danois, qui ne devrait détenir qu’un peu plus de 50 % des parts du site, devrait débourser près de 7 milliards d’euros de sa poche. Il a donc décidé de revoir le projet. Si ces programmes d’îles ne sont pas abandonnés, leur conception définitive n’est pas encore arrêtée. Même les projets plus modestes d’Elia pourraient se révéler surdimensi­onnés. Finiront-ils par ressembler à de vulgaires plateforme­s pétrolière­s ? 

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