Affreux, sale et profond
Les mineurs de fond vont devoir plonger en eaux troubles.
L’exploitation minière en eaux profondes est un process impressionnant. Il fait appel à des aspirateurs robotiques de la taille d’une moissonneuse-batteuse que l’on fait descendre à plusieurs kilomètres sous la surface jusqu’aux plaines abyssales de l’océan Pacifique. Là, ils sillonnent le fond, aspirant des nodules polymétalliques contenant du manganèse, du cuivre, du cobalt et du nickel, autant de métaux essentiels à l’électrification de l’économie mondiale (lire article ci-contre). Ces nodules reposant sur le fond océanique sont le résultat de millions d’années d’accrétion de particules de métal dans l’un des espaces les plus immobiles de la planète. Une portion du plancher océanique du Pacifique connue sous le nom de zone de fracture de Clarion-Copperton (CCFZ) recèle des nodules contenant des quantités de métaux à peu près équivalentes à la totalité des réserves terrestres.
Coup de force
Recueillir ce métal implique d’en passer par l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM), un organisme des Nations unies créé en 1994. Or cette administration qui « réfléchit » depuis près de trois décennies à une réglementation, ne l’élabore plus concrètement que depuis une décennie. Il est probable qu’en 2024, soit l’AIFM rend publiques ses réglementations, le plus certainement en juillet, soit les compagnies minières passeront outre et lanceront leurs activités sans plus attendre.
Une entreprise en particulier, The Metals Company (TMC), a fait savoir qu’elle était prête à commencer. Elle a déjà rassemblé des milliers de tonnes de
nodules au cours d’essais préliminaires. Elle a déposé une demande de licence d’exploitation pour sa concession CCFZ après que l’AIFM a échoué à respecter le délai de deux ans qui lui avait été accordé pour finaliser sa réglementation. Si les règles ne sont pas mises en place en 2024, TMC pourrait être contrainte de commencer l’exploitation. Sans récolte de nodules, et donc sans les recettes qu’elle en retirerait, elle se trouverait à court d’argent.
TMC a annoncé que, réglementation ou pas, elle déposera une demande de permis d’exploitation après la réunion de juillet. Dans les deux cas, il y aura obligatoirement conflit. Les groupes écologistes veulent interdire totalement l’exploitation minière en eaux profondes, arguant du fait que l’accès aux métaux verts ne justifie pas les dommages causés aux écosystèmes des profondeurs marines.
Mais l’exploitation terrestre des mêmes minéraux cause également des dommages, comme on le constate dans les forêts tropicales indonésiennes. Lorsqu’elle évaluera l’impact de l’exploitation minière dans les océans, l’AIFM ferait bien de soupeser aussi les dégâts (même s’ils semblent moindres) occasionnés par l’extraction terrestre de ces métaux.