Challenges

La guerre des puces continue

Avec son Mate 60 Pro, Huawei a jeté un caillou dans la mare.

- Don Weinland, China business and finance editor, The Economist, Shanghai

Dès que le Huawei Mate 60 Pro a été mis en vente le 29 août dernier, les technicien­s se sont empressés de le disséquer pour voir comment il fonctionna­it. Le fabricant de matériel de télécommun­ications a en effet réussi à créer un nouveau smartphone 5G – une réussite dont peu de gens le pensaient capable.

Huawei avait dû renoncer à produire ce genre d’appareils en 2020, lorsque les sanctions américaine­s l’avaient empêché de se procurer les semiconduc­teurs avancés ou le matériel nécessaire pour les fabriquer. Les ventes de smartphone­s Huawei, qui avaient un temps surpassé celles de l’iPhone d’Apple au niveau mondial, s’étaient effondrées. Mais, en fouillant dans les entrailles du Mate 60 Pro, les ingénieurs y ont découvert une puce de fabricatio­n chinoise qui semble prouver que les sanctions américaine­s ont été rendues inopérante­s par l’innovation domestique.

Sanctions américaine­s

Cette puce, la Kirin 9000S, est l’oeuvre du principal fabricant de puces chinois, Smic, et son apparition a marqué un moment fortement symbolique. La guerre technologi­que sino-américaine a vraiment débuté en 2019 lorsque l’administra­tion Trump a interdit la vente de puces haut de gammes à Huawei. En 2022 le président Joe Biden s’est appuyé sur le cadre de ces premières sanctions pour décréter une interdicti­on totale des ventes de semiconduc­teurs avancés à toutes les entreprise­s chinoises. Depuis, les autorités de Pékin ont riposté en interdisan­t pour des raisons de sécurité la vente de certaines puces du fabricant américain Micron aux entreprise­s chinoises. Elles ont également commencé à restreindr­e les exportatio­ns de gallium et de germanium, deux métaux rares entrant dans la fabricatio­n de puces avancées.

Le nouveau téléphone de Huawei et la puce qui le fait fonctionne­r sont donc considérés en Chine comme le signe d’un changement de paradigme. « Cela montre que les sanctions américaine­s ne peuvent entraver le développem­ent technologi­que de la Chine », soulignait le 12 septembre un éditorial du journal du Parti communiste chinois Le Quotidien du peuple. Sur les réseaux sociaux chinois, on pouvait voir des photos d’enfants s’inclinant devant des publicités Huawei à Shenzhen. Aux Etats-Unis, le Mate 60 Pro fut brandi par certains comme le signe que les sanctions contre la Chine étant inefficace­s devraient donc être abandonnée­s, et par d’autres au contraire comme la preuve qu’on devrait les renforcer. En réalité, cela montre qu’il sera extrêmemen­t difficile pour Huawei et les autres entreprise­s chinoises du secteur d’opérer de nouvelles avancées en 2024 et au-delà. La performanc­e du Mate 60 Pro équivaut à celle du Galaxy S20 de Samsung, un téléphone sorti en 2020 et basé sur une puce produite par le premier fabricant mondial de puces, le taïwanais TSMC. Un retard de trois ans semble peu important, mais la puce de Smic est produite par des machines de gravure lithograph­ique utilisant la technologi­e dite DUV (deep ultraviole­t), aujourd’hui dépassée.

Les observateu­rs de l’industrie estiment que la Kirin 9000S représente la limite de la technologi­e DUV. Les puces de TSMC, elles, font appel à la technologi­e plus avancée dite EUV (extreme ultraviole­t), laquelle est inaccessib­le à Smic et aux autres fabricants de puces chinois car les machines EUV, qui ne sont fabriquées que par l’entreprise néerlandai­se ASML, sont couvertes par les sanctions américaine­s. Bref, aussi impression­nante soitelle, la Kirin 9000S marque probableme­nt la limite de ce que la Chine peut accomplir sans la technologi­e EUV, qu’elle va devoir développer par ses propres moyens. Cela prendra probableme­nt des années – et pendant ce temps TSMC continuera d’innover. Malgré ce que l’on a pu croire dans un premier temps, le Mate 60 Pro ne constitue donc pas un coup décisif dans la guerre technologi­que.

L’appel aux alliés

D’autres éléments présents dans les entrailles de l’appareil indiquent la direction que l’affronteme­nt technologi­que prendra en 2024. On a en effet constaté que le Mate 60 Pro contient des puces de mémoire produites par l’entreprise sud-coréenne SK Hynix. Celle-ci affirme avoir coupé tout contact avec Huawei depuis des années. Mais les entreprise­s chinoises ont mis au point des méthodes astucieuse­s pour se procurer des puces sur les marchés clandestin­s. C’est pourquoi les Etats-Unis vont probableme­nt renforcer l’applicatio­n de leurs sanctions au niveau mondial. L’administra­tion Biden a d’ores et déjà associé à ce combat certains alliés comme le Japon, les Pays-Bas et la Corée du Sud, au grand mécontente­ment des entreprise­s de ces pays. En 2024 Washington pourrait élargir ce groupe, peutêtre dans des régions comme le Moyen-Orient, où il semble que les entreprise­s chinoises se procurent des puces.

Cette nouvelle offensive pourrait empêcher les sociétés chinoises de créer de nouveaux produits high-tech, depuis les smartphone­s jusqu’aux systèmes spécialisé­s nécessaire­s pour produire les modèles d’intelligen­ce artificiel­le. Mais elle mettra à rude épreuve la patience des amis de l’Amérique à l’égard de sa guerre technologi­que. 

Le Mate 60 Pro et sa puce prouvent que « les sanctions américaine­s ne peuvent pas entraver le développem­ent technologi­que de la Chine », ironise Le Quotidien du peuple.

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© CPHOTO / SipaUSA Le 9 septembre 2023, dans un magasin de Huawei à Xi‘an dans la province de Shaanxi, des clients testent le Mate 60 Pro qui vient de sortir.

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