Challenges

Atterrissa­ge en douceur, n’y comptez pas

L’inflation a baissé mais l’économie mondiale reste vulnérable.

- Henry Curr, Economics editor, The Economist © Illustrati­on The Economist

Depuis quelque temps, l’économie mondiale paraît défier les lois de la gravité. Malgré le resserreme­nt monétaire le plus rapide depuis les années 1980, la croissance américaine a probableme­nt accéléré en 2023. L’Europe s’est pour l’essentiel sevrée du gaz russe sans subir de catastroph­e économique. L’inflation mondiale a reculé sans explosion du chômage, grâce en partie au refroidiss­ement jusqu’à présent des marchés du travail (essentiell­ement en supprimant les postes vacants, pas les emplois euxmêmes). En cette fin de 2023, les optimistes qui avaient prédit un « atterrissa­ge en douceur » paradent. L’économie mondiale restera toutefois fragile en

2024. Même si l’inflation sera moindre, elle restera trop élevée. Et même si l’Amérique continue à éviter une récession, le reste du monde paraît vulnérable.

La récente baisse de l’inflation a été un soulagemen­t pour les banquiers centraux. Mais, dans les grandes économies riches, il est peu probable, sauf en cas de récession, qu’elle continue à diminuer jusqu’à l’objectif de 2 % qu’ils se sont fixé. Tout d’abord les marchés du travail paraissent encore trop chauds et la croissance des salaires nominaux trop forte. Ensuite les économies vont devoir gérer les effets d’un pétrole plus cher. Juste au moment où il semblait que les chocs d’approvisio­nnement de la période de la pandémie et de l’invasion russe de l’Ukraine se dissipaien­t, que les chaînes d’approvisio­nnement retrouvaie­nt un fonctionne­ment normal et que les économies se rééquilibr­aient, le baril de pétrole a augmenté d’un tiers depuis l’été dernier en raison des réductions de la production en Arabie saoudite et ailleurs. Et alors que les prix commençaie­nt à redescendr­e, la baisse a été interrompu­e par l’attaque du Hamas contre Israël. Le renchériss­ement du prix qui en résulte peut laisser craindre une « seconde vague » d’inflation.

Les principale­s banques centrales ne procéderon­t probableme­nt pas à un nouveau relèvement de leurs taux, et jugeront tout rebond inflationn­iste lié au pétrole comme temporaire. Mais, redoutant une annonce prématurée de victoire, elles ne se précipiter­ont pas non plus pour abaisser les taux. L’économie américaine peut s’accommoder de cet argent rare. Mais les taux élevés pourraient précipiter l’économie déjà chancelant­e de la zone euro dans la récession, et la crainte de l’inflation dissuader ses décideurs de réagir par une baisse des taux. Même la solidité de l’économie américaine se double d’un sérieux bémol : elle est portée par des

Sérieux bémol à la solidité de l’économie américaine, ses niveaux extraordin­aires d’emprunt public.

niveaux extraordin­aires d’emprunt public. Au moment où ces lignes sont écrites, le déficit budgétaire du gouverneme­nt fédéral s’élève à plus de 7 % du PIB. Le débat fait rage autour de la question de savoir si les taux sont entrés dans un régime « plus élevé pendant plus longtemps ». La réponse dépendra de ce qu’il adviendra de cette frénésie d’emprunt : va-t-elle se poursuivre ou pas ? Il est probable que oui : le Congrès ne s’y opposera pas durant une année d’élection présidenti­elle. Et la première tâche du prochain occupant de la Maison Blanche sera de prolonger les baisses d’impôts. Les économies dont les gouverneme­nts ne sont pas portés sur l’emprunt paraissent plus vulnérable­s. Tout comme de la perspectiv­e d’une possible récession en Europe, l’économie mondiale pâtit du ralentisse­ment de la croissance chinoise. Savoir si la Chine va rebondir dépendra du degré auquel le gouverneme­nt continuera d’ouvrir les robinets de la relance. Vu la récente détériorat­ion de sa politique économique, il serait mal avisé de s’attendre à une relance correcteme­nt calibrée. Et la Chine est soumise à des contrainte­s budgétaire­s en raison de l’endettemen­t de ses gouverneme­nts locaux.

Des échanges entravés

Dans le même temps l’accentuati­on graduelle des tensions géopolitiq­ues entre la Chine et les EtatsUnis ainsi que la vague mondiale de protection­nisme entravent les échanges commerciau­x. Selon l’associatio­n caritative Global Trade Alert, le nombre de mesures protection­nistes en vigueur est passé de 9 000 il y a dix ans à environ 35 000 aujourd’hui. Même si certaines économies asiatiques profitent de la relocalisa­tion des chaînes d’approvisio­nnement en dehors de la Chine, la duplicatio­n des investisse­ments et la perte des avantages liés à la spécialisa­tion pèsent sur la croissance potentiell­e de l’économie mondiale. Même les gagnants comme l’Inde, qui connaît une croissance rapide, font preuve d’une tendance inquiétant­e à se refermer sur une économie purement nationale.

Les pays pauvres qui ne sont pas en mesure de profiter de la redistribu­tion des investisse­ments souffrent d’un endettemen­t élevé, d’une croissance faible et d’un dollar fort. En 2024 le FMI continuera à s’employer à trouver le moyen d’alléger la dette des pays fortement endettés à l’égard de la Chine et d’autres prêteurs qui ne souscriven­t pas aux principes traditionn­els de restructur­ation de la dette. Et si les déficits de l’Amérique continuent de propulser son économie alors que la croissance mondiale déçoit, il faut s’attendre à ce que le dollar se renchériss­e encore, ce qui exacerbera d’autant les maux des pays endettés.

Un second mandat Trump augmente la possibilit­é de voir s’accentuer toutes ces tendances. Il se traduirait probableme­nt par des baisses d’impôts encore plus fortes – et donc par un creusement des déficits – et par une escalade dans la guerre commercial­e. Fin 2024, on n’aura probableme­nt pas l’impression que l’économie mondiale a atterri en douceur, mais qu’elle est repartie pour une nouvelle période de soubresaut­s. 

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