Atterrissage en douceur, n’y comptez pas
L’inflation a baissé mais l’économie mondiale reste vulnérable.
Depuis quelque temps, l’économie mondiale paraît défier les lois de la gravité. Malgré le resserrement monétaire le plus rapide depuis les années 1980, la croissance américaine a probablement accéléré en 2023. L’Europe s’est pour l’essentiel sevrée du gaz russe sans subir de catastrophe économique. L’inflation mondiale a reculé sans explosion du chômage, grâce en partie au refroidissement jusqu’à présent des marchés du travail (essentiellement en supprimant les postes vacants, pas les emplois euxmêmes). En cette fin de 2023, les optimistes qui avaient prédit un « atterrissage en douceur » paradent. L’économie mondiale restera toutefois fragile en
2024. Même si l’inflation sera moindre, elle restera trop élevée. Et même si l’Amérique continue à éviter une récession, le reste du monde paraît vulnérable.
La récente baisse de l’inflation a été un soulagement pour les banquiers centraux. Mais, dans les grandes économies riches, il est peu probable, sauf en cas de récession, qu’elle continue à diminuer jusqu’à l’objectif de 2 % qu’ils se sont fixé. Tout d’abord les marchés du travail paraissent encore trop chauds et la croissance des salaires nominaux trop forte. Ensuite les économies vont devoir gérer les effets d’un pétrole plus cher. Juste au moment où il semblait que les chocs d’approvisionnement de la période de la pandémie et de l’invasion russe de l’Ukraine se dissipaient, que les chaînes d’approvisionnement retrouvaient un fonctionnement normal et que les économies se rééquilibraient, le baril de pétrole a augmenté d’un tiers depuis l’été dernier en raison des réductions de la production en Arabie saoudite et ailleurs. Et alors que les prix commençaient à redescendre, la baisse a été interrompue par l’attaque du Hamas contre Israël. Le renchérissement du prix qui en résulte peut laisser craindre une « seconde vague » d’inflation.
Les principales banques centrales ne procéderont probablement pas à un nouveau relèvement de leurs taux, et jugeront tout rebond inflationniste lié au pétrole comme temporaire. Mais, redoutant une annonce prématurée de victoire, elles ne se précipiteront pas non plus pour abaisser les taux. L’économie américaine peut s’accommoder de cet argent rare. Mais les taux élevés pourraient précipiter l’économie déjà chancelante de la zone euro dans la récession, et la crainte de l’inflation dissuader ses décideurs de réagir par une baisse des taux. Même la solidité de l’économie américaine se double d’un sérieux bémol : elle est portée par des
Sérieux bémol à la solidité de l’économie américaine, ses niveaux extraordinaires d’emprunt public.
niveaux extraordinaires d’emprunt public. Au moment où ces lignes sont écrites, le déficit budgétaire du gouvernement fédéral s’élève à plus de 7 % du PIB. Le débat fait rage autour de la question de savoir si les taux sont entrés dans un régime « plus élevé pendant plus longtemps ». La réponse dépendra de ce qu’il adviendra de cette frénésie d’emprunt : va-t-elle se poursuivre ou pas ? Il est probable que oui : le Congrès ne s’y opposera pas durant une année d’élection présidentielle. Et la première tâche du prochain occupant de la Maison Blanche sera de prolonger les baisses d’impôts. Les économies dont les gouvernements ne sont pas portés sur l’emprunt paraissent plus vulnérables. Tout comme de la perspective d’une possible récession en Europe, l’économie mondiale pâtit du ralentissement de la croissance chinoise. Savoir si la Chine va rebondir dépendra du degré auquel le gouvernement continuera d’ouvrir les robinets de la relance. Vu la récente détérioration de sa politique économique, il serait mal avisé de s’attendre à une relance correctement calibrée. Et la Chine est soumise à des contraintes budgétaires en raison de l’endettement de ses gouvernements locaux.
Des échanges entravés
Dans le même temps l’accentuation graduelle des tensions géopolitiques entre la Chine et les EtatsUnis ainsi que la vague mondiale de protectionnisme entravent les échanges commerciaux. Selon l’association caritative Global Trade Alert, le nombre de mesures protectionnistes en vigueur est passé de 9 000 il y a dix ans à environ 35 000 aujourd’hui. Même si certaines économies asiatiques profitent de la relocalisation des chaînes d’approvisionnement en dehors de la Chine, la duplication des investissements et la perte des avantages liés à la spécialisation pèsent sur la croissance potentielle de l’économie mondiale. Même les gagnants comme l’Inde, qui connaît une croissance rapide, font preuve d’une tendance inquiétante à se refermer sur une économie purement nationale.
Les pays pauvres qui ne sont pas en mesure de profiter de la redistribution des investissements souffrent d’un endettement élevé, d’une croissance faible et d’un dollar fort. En 2024 le FMI continuera à s’employer à trouver le moyen d’alléger la dette des pays fortement endettés à l’égard de la Chine et d’autres prêteurs qui ne souscrivent pas aux principes traditionnels de restructuration de la dette. Et si les déficits de l’Amérique continuent de propulser son économie alors que la croissance mondiale déçoit, il faut s’attendre à ce que le dollar se renchérisse encore, ce qui exacerbera d’autant les maux des pays endettés.
Un second mandat Trump augmente la possibilité de voir s’accentuer toutes ces tendances. Il se traduirait probablement par des baisses d’impôts encore plus fortes – et donc par un creusement des déficits – et par une escalade dans la guerre commerciale. Fin 2024, on n’aura probablement pas l’impression que l’économie mondiale a atterri en douceur, mais qu’elle est repartie pour une nouvelle période de soubresauts.