A l’Europe de prendre en charge l’Ukraine
Washington risque de ne plus ravitailler Kiev en armes et en dollars.
L’Europe pourrait aussi aider l’Ukraine en accélérant son intégration dans l’UE.
Amoins d’un miracle de dernière minute, la contre-offensive ukrainienne du printemps 2023 s’est soldée par un échec – et un échec cuisant. Après six mois d’efforts sanglants et coûteux, les résultats étaient toujours minimes en décembre : aucune grande ville de reprise, seulement 400 kilomètres carrés de territoire reconquis, soit moins de 0,1 % de la surface de l’Ukraine. La Russie occupe 18 % du pays, soit à peu près la moitié de ce qu’elle avait acquis en 2014, lorsqu’elle avait annexé la Crimée et pris le Donbass oriental ; le reste représente ce qu’elle a réussi à conserver du territoire saisi après l’invasion de février 2022. Tout cela laisse augurer d’une longue et épuisante guerre d’attrition à laquelle les soutiens de l’Ukraine doivent se préparer. La Russie, elle, y est prête. La stratégie de Vladimir Poutine consiste à attendre que l’Occident se lasse de ce qui apparaît de plus en plus comme un engagement sans terme visible. Une guerre longue est tout à son avantage. Il n’a guère à s’inquiéter de son opinion publique. Il persévérera donc. Mais en Europe, et surtout aux Etats-Unis, plane le risque qu’électeurs et dirigeants finissent par se lasser de ce fardeau.
Un conflit forcément durable
Jusqu’à présent, l’Occident a fait beaucoup trop de promesses autour de la contre-offensive et s’est trop peu préparé à une guerre longue. Cela doit changer. Ni l’Ukraine ni la Russie n’ont intérêt à une paix qui entérinerait la situation sur le terrain telle qu’elle se présente aujourd’hui. Pour l’Ukraine, accepter que la Russie garde le territoire conquis est inacceptable, ne serait-ce qu’à cause de l’impact économique provoqué par la perte de la plus grande partie de son littoral méridional. Et pour la Russie l’invasion apparaît toujours comme un échec, puisqu’elle ne contrôle entièrement aucune des quatre provinces annexées en septembre 2022. Il ne faut donc pas s’attendre à ce que les protagonistes cherchent à mettre fin au conflit en 2024. Cette nouvelle réalité exige de nouvelles politiques, notamment de la part des dirigeants européens qui doivent comprendre que la tâche de soutenir l’Ukraine va rapidement leur incomber en grande partie. Alors que l’Amérique avait été le principal fournisseur d’armes à Kiev, l’Europe a accru son soutien en 2023 et, en juillet, a pratiquement surpassé les Etats-Unis en tant que plus gros fournisseur d’aide militaire cumulée. Mais elle y est parvenue en amenuisant ses propres réserves de chars, de munitions et de missiles. Sans de nouveaux et importants investissements en approvisionnement de défense, l’Europe ne sera pas capable de maintenir ce rythme. Et même si les sous-traitants peuvent augmenter la production dans les usines existantes, cela ne suffira pas. Pour investir dans de nouvelles installations, ils devront recevoir de gros engagements de la part de leurs gouvernements. La situation se présente mieux sur le plan des engagements non militaires, et en particulier en ce qui concerne l’aide financière qui doit permettre à l’Ukraine de combler les déficits budgétaires béants creusés par l’augmentation des dépenses militaires et la réduction drastique des recettes fiscales due à la guerre. En juin, l’Union européenne (UE) a promis une aide financière supplémentaire de 50 milliards d’euros à l’Ukraine pour la période 2024-2027. Cela portera le total des engagements d’assistance européens bien au-dessus de l’aide fournie par l’Amérique. Selon le Kiel Institute for the World Economy, les engagements américains à la fin de juillet se montaient à 69 milliards de dollars, contre 155 milliards de dollars pour les européens (UE plus Royaume-Uni, Norvège et Suisse). Mais le déficit budgétaire ukrainien, qui s’élève à environ 20 % du PIB, signifie que Kiev aura besoin de quelque 42 milliards de dollars chaque année pour rester à flot. Puis il faudra prendre en compte le coût de la reconstruction. Autant dire que 50 milliards d’euros sur quatre ans, ce n’est pas suffisant. Les Etats européens pourraient facilement faire mieux. Mais le voudront-ils ?
En tout cas, on ne pourra plus compter sur l’Amérique. Le speaker de la chambre des représentants, Mike Johnson, a étrenné son mandat en bloquant la tentative du président Biden d’autoriser un paquet de 61 milliards de dollars d’aide militaire à l’Ukraine. Donald Trump reste un mystère, s’étant, comme sur beaucoup d’autres sujets, souvent contredit à propos de l’Ukraine. Joe Biden, qui a jusqu’à présent effectué un excellent travail pour aider l’Ukraine, pourrait trouver trop difficile de combattre les républicains sur cette question à l’approche de l’élection présidentielle de novembre. Tous les pays du G7 ont convenu d’offrir des garanties bilatérales de sécurité à l’Ukraine, mais aucun n’a concrétisé sa proposition.
L’Europe devra donc, bon gré, mal gré, passer à la vitesse supérieure et endosser plus de responsabilités dans l’aide à l’Ukraine. Cela veut dire verser plus d’argent en aide financière directe et investir beaucoup plus dans le matériel militaire. L’Europe peut également aider l’Ukraine en accélérant son intégration dans l’UE. La candidature ukrainienne a été officiellement acceptée en juin 2022 mais les discussions officielles d’adhésion n’ont pas encore commencé. A leur sommet en décembre 2023, les dirigeants de l’UE ont donné le feu vert pour ouvrir des négociations détaillées, tout en signifiant clairement que celles-ci ne devront pas s’étirer sur des années. Attelée à l’énorme économie européenne, l’Ukraine aura de bien meilleures chances de résister à la Russie – et de survivre à Vladimir Poutine.