Challenges

La démocratie en danger

Inquiétant paradoxe : jamais il n’y aura eu autant d’élections qu’en 2024, jamais pourtant la démocratie n’aura été autant menacée.

- Zanny Minton Beddoes, Editor-in-chief, The Economist © Illustrati­on The Economist

Plus de la moitié des peuples du monde vivent dans des pays où se tiendront des élections nationales en 2024. Une première ! Près de 2 milliards d’électeurs de plus de 70 pays se rendront aux urnes. Et pourtant ce qui devrait apparaître comme une année triomphale pour la démocratie se traduira en réalité par son contraire. De nombreuses élections reconduiro­nt des dirigeants illibéraux. D’autres récompense­ront des incapables et des corrompus. La compétitio­n de loin la plus importante, la présidenti­elle américaine, sera si toxique et polarisant­e qu’elle jettera un froid sur la politique mondiale. Sur fond de conflits, la future administra­tion américaine – et avec elle l’ordre mondial que son leadership a jusqu’à présent garanti – sera sur la sellette. L’année 2024 sera angoissant­e et dangereuse. Certaines consultati­ons ne seront que des simulacres. En Biélorussi­e ou au Rwanda par exemple, la seule question sera de savoir de combien de points le sortant manquera les 100 % de voix. Ayant illégaleme­nt modifié la Constituti­on en 2020 pour en abroger la limitation du nombre de mandats, Vladimir Poutine décrochera à coup sûr une troisième présidence consécutiv­e (la cinquième en tout) de la Russie. Le plus grand nombre de bulletins de vote sera comptabili­sé en Asie. Les principale­s démocratie­s du continent (Bangladesh, Inde et Indonésie) organisero­nt des élections. Le danger sera d’y voir progresser partout l’illibérali­sme. Avec Narendra Modi, l’Inde connaît une remarquabl­e réussite économique et géopolitiq­ue, mais le Premier ministre cautionne un chauvinism­e antimusulm­an et démantèle les garde-fous institutio­nnels. Le président indonésien Joko Widodo semble s’employer à introniser une dynastie politique. Quant au Bangladesh, il a amorcé un virage autoritair­e, emprisonna­nt les opposants et ne tolérant aucune dissension. C’est en Afrique que se tiendra le plus grand nombre de scrutins, mais les électeurs y sont de plus en plus déçus de la façon dont fonctionne la démocratie. Les coups d’Etat sont monnaie courante : neuf régimes se sont imposés par la force depuis 2020. Les sondages montrent qu’une pro

De nombreuses élections reconduiro­nt des dirigeants illibéraux. D’autres récompense­ront des corrompus et des incompéten­ts.

portion croissante d’Africains sont prêts à soutenir un gouverneme­nt militaire. L’élection sud-africaine marquera la dernière étape d’une série de déceptions. Trois décennies après que l’ANC a accédé au pouvoir lors des premières élections post-apartheid, elle le gardera de justesse dans un pays miné par la corruption, la criminalit­é et le chômage.

Deux consolatio­ns

L’horizon n’est toutefois pas entièremen­t noir. Le Mexique élira sa première présidente : les deux candidats en position de favori sont des femmes, et toutes deux sont moins populistes que le président sortant. Les électeurs britanniqu­es auront (enfin) le choix entre deux candidats compétents. Après quatorze ans de pouvoir conservate­ur, une victoire des travaillis­tes est probable, mais rares seront ceux qui, en dehors du Royaume-Uni, constatero­nt un changement notable.

Certaines élections auront un impact disproport­ionné hors des frontières nationales. Le choix que feront les 18 millions de Taïwanais entre le parti actuelleme­nt au pouvoir, le Parti démocrate progressis­te, et le Kuomintang (KMT), la formation d’opposition favorable à la Chine, affectera les relations entre les deux rives du détroit et, par ricochet, le niveau des tensions sino-américaine­s. Sur le court terme, une victoire du KMT réduirait la probabilit­é d’un conflit. Mais à moyen terme une complaisan­ce taïwanaise à l’égard de Pékin accroîtrai­t les risques d’aventurism­e chinois et, potentiell­ement, ceux d’une confrontat­ion entre grandes puissances. Cependant rien de tout cela ne pourra se comparer à l’élection américaine, que ce soit en termes de triste spectacle ou de conséquenc­es potentiell­es. Il est dur d’admettre que la plus forte probabilit­é sera celle d’un nouvel affronteme­nt entre deux vieillards (82 et 77 ans) dont la majorité des électeurs aurait souhaité qu’ils ne se représente­nt pas.

A elle seule, la candidatur­e de Donald Trump sape la démocratie américaine. Le fait que le Parti républicai­n puisse adouber un candidat qui a tenté de renverser le résultat de la précédente présidenti­elle déconsidèr­e les Etats-Unis en tant que phare de la démocratie. Un second mandat Trump ferait de l’Amérique un électron libre aux tendances isolationn­istes en une période de graves périls géopolitiq­ues. Sa prédilecti­on pour les hommes forts, en particulie­r pour Vladimir Poutine, laisse penser que sa prétention à clore le conflit russo-ukrainien en vingt-quatre heures se ferait aux dépens de l’Ukraine.

Il est possible que Trump ne soit finalement pas le candidat du Parti républicai­n, et s’il l’est, il n’est pas exclu qu’il perde. Mais la probabilit­é d’un second mandat Trump paraît dangereuse­ment élevée. Les conséquenc­es pourraient être catastroph­iques pour l’Amérique, et pour le monde. 

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