En haut de l’affiche
Fondateur de l’agence rennaise Désigne, Nicolas Gilles fait partie des designers les plus en vogue dans le milieu de la voile mais pas uniquement. Il a ainsi signé l’identité visuelle de nombreux événements sportifs dont le Vendée Globe ou le Spi Ouest-France, mais aussi celle des mythiques 24 Heures du Mans.
UNESCO, Paris. Conférence de presse du Vendée Globe. Nous rencontrons Nicolas Gilles, dont l’agence Désigne signe l’identité visuelle du Vendée Globe pour la quatrième édition consécutive, “motion design”, décoration du Village, produits dérivés et dossier de presse compris. Une grande fierté pour le Nantais d’origine, qui entretient un lien fort avec la mer. Dernier d’une fratrie de six enfants, il passe beaucoup de temps à l’île aux Moines, gamin. C’est là qu’il tire très tôt ses premiers bords sur un Bélouga. « À l’époque, on pouvait partir sans gilet de sauvetage dans le golfe du Morbihan. On disparaissait toute la journée, les parents savaient qu’on rentrerait le soir. C’était comme partir faire du vélo ou de la Mobylette. On avait une grande liberté », se souvient celui qui pratique beaucoup la plate en V, ensuite, sans passer par la case école de voile. En parallèle, il s’initie à l’art à Nantes, avec son père, représentant « dans une très belle imprimerie où il s’occupait plus particulièrement de beaux livres et de calendriers des peintres de la Marine. Il connaissait Albert Brenet, Marin Marie. Je le voyais revenir avec des originaux de l’imprimerie, c’était incroyable ». Passionné de voitures, ce dernier, qui ne rate pas un Salon de l’Auto, lui fait découvrir les mythiques 24 Heures du Mans, ce qui aura son importance plus tard.
Son appétence pour le dessin, il la découvre à l’école en dessinant au stylo Bic dès 1968 au fond de la classe. « Je n’étais pas un élève brillant. Dessiner me permettait de m’évader », raconte Nicolas Gilles, qui commence à prendre des cours du soir dès la 3e. Il apprend la perspective, dessine des croquis de nus et découvre sa voie. Le bac en poche, il quitte sa Loire-Atlantique natale et « monte à la capitale avec peu de moyens », ayant perdu ses parents assez tôt. Il s’installe avec quelques copains rue de Dunkerque, face à la gare du Nord. Admissible mais pas admis à l’école Boule, il intègre l’Atelier de Sèvres puis entre aux Beaux-Arts. Une expérience dans laquelle il ne se reconnaît pas trop mais qui reste « enrichissante et passionnante ».
Il fait ses premiers pas dans l’illustration grâce à un coup de pouce de son grand frère Daniel, journaliste puis rédacteur en chef du magazine Neptune. « Il a eu l’intelligence de me donner envie sans me faire travailler directement.
C’est Bernard Rubinstein, que j’aimais beaucoup, qui m’a lancé en me demandant de faire des petits dessins. Un jour, il m’a présenté Gérard Petipas, le bras droit d’Éric Tabarly, au Salon Nautique au début des années 1980. » Une rencontre déterminante dans sa carrière. « J’encaissais les recettes du livre d’Éric, qu’il dédicaçait. Gérard m’a ensuite proposé de livrer les ouvrages des éditions Pen
Duick en 4L dans Paris, puis de faire les vieilles radios la nuit pendant l’Europe 1 Star. » Les projets s’enchaînent pour Nicolas Gilles jusqu’au jour où Gérard Petipas lui demande de dessiner une couverture : la machine est lancée, Nicolas devient illustrateur de presse. À l’époque, il travaille pour Bateaux, Neptune ou Voiles & Voiliers mais très vite, il ressent le besoin d’élargir son horizon et se diversifie dans des publications plus grand public telles que Ça m’intéresse ou GEO.« Ça marchait très bien mais ça ne me suffisait pas. J’en avais marre de bosser seul. J’aime confronter mon travail, travailler en équipe. J’ai intégré une agence qui faisait une partie de la promotion du cinéma en France, tout en continuant à exercer pour mon propre business. J’ai découvert ce qu’était une agence de design. » Il commence alors à dessiner pour des marques dont Boucheron, Old England ou encore Timberland et à monter en compétences, vers une expérience plus marketing. Il délaisse un peu le dessin même s’il reste l’expression première de ses projets, bascule vers le design dans les années 2000 et s’installe à Rennes quelques années plus tard. Sur place, il rencontre Pierre-Yves Guerroué, son principal collaborateur, s’entoure de gens de confiance et fonde Désigne il y a quinze ans.
Très vite, le succès est au rendez-vous. L’agence, qui compte aujourd’hui une dizaine de collaborateurs dont des free-lances, remporte son premier appel d’offres pour le Vendée Globe en 2012. « À l’origine, la SAEM Vendée voulait juste une affiche mais j’étais persuadé que le sport allait devenir une niche qui n’était pas encore exploitée niveau identité. Il n’y avait pas de stratégie graphique, d’identité visuelle, de moyens suffisants. Je leur ai proposé de travailler l’événement dans sa globalité pour envoyer des signaux cohérents. J’ai connu un alignement des planètes dans ces années-là. » La carrière du designer décolle dans la voile. Aujourd’hui, il compte à son actif quelque
150 décorations de bateaux de course. Et de nombreuses affiches, dont les quatre dernières du Spi Ouest-France, les cinq dernières de la Transat Jacques Vabre, ou encore celle de la New York-Vendée Les Sables.
Malgré le succès, Nicolas Gilles ne veut pas « s’enfermer dans la voile ». Il s’ouvre ainsi à d’autres sports et travaille pour la Fédération Française de Badminton, des Open de Tennis, ou encore le Grand Prix d’Amérique. En parallèle, Désigne, qui mise sur le “motion design” et l’IA, travaille sur des sujets “corporate” pour des entreprises telles que
Nicolas Gilles, enfant, s’évadait pendant les cours grâce au dessin.
Samsic, ou encore Mondial Assistance. « C’est une richesse d’être obligé de réfléchir pour aller sur des sujets que l’on ne connaît pas parfois. Il faut comprendre les entreprises, les mutations qui vont arriver dans les années à venir.
C’est l’intérêt du métier : dessiner et créer des signaux pour des marques ou événements en s’immergeant dans un univers qui n’est pas forcément le tien. Je peux faire une piste comme les concurrents et proposer autre chose d’un peu décalé. On retrouve, par exemple, les codes des voitures de course dans la décoration de l’IMOCA Charal, avec les bandes rouges qui arrivent dans le cockpit depuis l’extérieur. C’est la synthèse de ce que l’on a vu sur les circuits et les rallyes. Il y a une vraie transversalité dans le design. » À l’affût des dernières tendances, il n’hésite pas à arpenter les rues parisiennes pour regarder les vitrines, les PLV, les publicités dans le métro, qui sont « des cahiers de tendances essentiels ».
Le projet dont il est le plus fier ? « Difficile à dire mais j’aime beaucoup la saga de quatre affiches du Spi Ouest‑France, que j’ai illustrée avec le talentueux Louis Fièvre, ou le logo des 100 ans des 24 Heures du Mans. Les enjeux étaient colossaux, il ne fallait pas se rater. Je regrette que mon père n’ait pas pu voir tous nos visuels du Mans. Sinon, la première et la dernière affiche du Vendée Globe, et la déco de Charal. Je pense que l’on a marqué un coup avec. » S’il a atteint ses objectifs, il lui reste un rêve : faire le design d’un avion « pour sa surface gigantesque, géniale pour s’exprimer ».
Sportif dans l’âme, Nicolas, qui aime « les signaux envoyés par les objets », se passionne aussi pour les montres qu’il aime chiner et les vieilles motos, des « univers parallèles alliant technologie et mécanique qui se croisent et ne laissent pas indifférents ». Cet amour des objets, on le retrouve dans son grand projet, qu’il prépare depuis cinq ans : Ikonic by Bic, la synthèse de son métier d’illustrateur, de designer et de marketer, de sa vie et de ses plaisirs.
« J’ai choisi dix événements iconiques des années 1970 à aujourd’hui, que j’ai illustrés uniquement au Bic en faisant seulement des traits verticaux à main levée. Je place à gauche de mes illustrations des objets uniques que j’ai chinés. » Parmi ses oeuvres encadrées à l’américaine : la chute du mur de Berlin, Marylin Monroe, Enzo Ferrari, le premier pas sur la Lune, ou encore un portrait de Tabarly au Bic 4 couleurs. « À gauche, il y a une lettre d’Éric évoquant la construction de Pen Duick II, qui m’a été offerte par Gérard Petipas, un morceau du bateau et une photo sur laquelle on voit mon père et mon frère au chantier Costantini au moment où ils ont raccourci l’arrière du bateau. » Des oeuvres destinées à être exposées dans un futur proche...
Amateur de vieilles motos et de montres, Nicolas Gilles aime les signaux envoyés par les objets...