Quand ma fille a découvert son style…
Autant vous le dire tout de suite : on n’a pas les mêmes goûts.
Un matin, ma fille met mille ans à s’habiller. Je rentre dans sa chambre pour qu’elle accélère le rythme et je la vois assise sur son lit, l’air tristoune, avec son T-shirt à étoiles trop petit. « Papa ils sont nuls, mes habits. En plus, j’ai des grosses cuisses », me dit-elle. Wow, les premiers complexes physiques à 11 ans, sérieux ? Je suis désarçonné, mais je trouve la parade direct : « D’abord tu n’as pas de grosses cuisses, tu es musclée. C’est normal, c’est grâce à ces muscles que tu sprintes plus vite que tous les autres de ta classe. » Elle me toise, je la regarde, je me dis que l’argument va passer, mais il ne passe pas. Elle pleure des larmes que je n’avais pas encore vues. Des larmes de réelle tristesse. Elle dit qu’elle se sent mal dans son corps. Qu’elle a de plus grosses cuisses que ses copines. Qu’elle a des vêtements de bébé. Et qu’elle voudrait être aussi belle et bien habillée que son amie Mia. Après l’avoir rassurée, je lui propose une séance de shopping. De celles qui revigorent. Je me dis que c’est le moment pour elle de composer son style, de piloter en autonomie l’image renvoyée dans le miroir.
Pour apprendre à s’aimer.
Carte blanche & carte bleue
Trois jours après, on se retrouve dans les rayons d’un grand magasin. Elle a le sourire jusqu’aux oreilles, ma fille. Je lui dis qu’elle a carte blanche, mais je précise que je l’orienterai sûrement si je juge les vêtements inappropriés, ou pas de son âge. « Maaaaiiiiis ouiiii ».
Premier article brandi comme un trophée : un legging orange cuivré imitation cuir. « Ah, bah non. Ça, non », je rétorque direct, avec les yeux qui piquent. Déjà, ça commence mal. « Mais pourquoi ? J’adore. Je peux essayer au moins », me dit-elle. OK, c’est le jeu. Je ne me défile pas. « Avec ça, ça serait trop beaaaauuuu ! » Le « ça » en question, c’est un pull jaune court en fausse fourrure, façon chaise en moumoute de 1975. Go pour l’essayage. Le mélange des matières est hautement improbable. Le legging cent fois trop moulant. Quant au mélange des couleurs, je suis persuadé qu’avec ça, elle va attirer toutes les guêpes de la région. Ça me fiche le bourdon.
Fashion « faut pas »
Comme je me suis préparé, je me suis souvenu des conseils des psys sur la question : soutenir… mais guider. Et s’imaginer que nous sommes un garde-fou discret qui empêche les pires fashion faux pas, tout en laissant assez de place pour quelques chutes mémorables. Donc je dis : « Le pull, si tu veux ; le legging, non. Il est super, mais tu ne seras pas à l’aise à l’école. Ça sera top dans quatre ou cinq ans. » (Ou jamais, en fait). Bien ouej, le pull poussin a fait éclore sa confiance en elle. Elle exulte, sait ce qu’elle veut, ce qu’elle aime (les trucs street hyper originaux qui flirtent avec l’improbable), ce qu’elle n’aime pas (les robes, les basiques, les tons neutres). C’est une découverte, autant pour elle que pour moi. Elle repère et pêche un pantalon cargo XXL (pas flatteur mais OK), débusque un crop top flashy (no no no), un T-shirt avec un palmier… zèbre (mais pourquoi ?) un bas de survêt – XXL aussi (oui, bon) –, un sweat fluo marqué FUCK en graffiti (bah non). J’ai cédé sur la moitié. J’ai orienté l’autre. Quant à son rêve de Converse à talons : NON. Jamais.
En remettant les vêtements en rayon façon personal shopper, je me suis souvenu d’une photo de moi à 12 ans. Période grunge, quand j’étais persuadé d’être Kurt Cobain avec mon marcel sur bras prépubères, ma chemise déglingue, mes cheveux que je laissais pousser (plus dignes de Mireille Dumas que de Kurt) et mon duvet, que j’appelais « barbe ». Dans cet amas dissonant, je me souviens que je me sentais puissant. Sûr de moi. Décidé à me construire. J’ai payé à la caisse du magasin, comme pour un péage sur l’autoroute vers l’adolescence. Un énorme bisou, un big smile, ma fille marchait tête haute avec ses sacs. Et je me suis dit qu’après tout, si la mode est éphémère, la confiance en soi est éternelle, et c’est ça, qui est vraiment stylé.