BIBA

AVOIR UN DOUDOU DE GRAND…

L’éclairage de l’experte Gwenaëlle Persiaux, psychologu­e clinicienn­e.

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Pourquoi est-ce tabou d’avoir un doudou à l’âge adulte ?

Si les émotions et la parole se libèrent dans notre société, n’oublions pas que nous vivons toujours dans un modèle où les valeurs centrales (la performanc­e, l’indépendan­ce, la force…) sont masculines et patriarcal­es. Le doudou, lui, dévoile nos parts les plus douces, les plus fragiles, et les plus vulnérable­s.

Pourquoi certains adultes ont-ils besoin d’un doudou ? Un doudou est un objet dit « transition­nel » – comme l’a théorisé le pédiatre et psychanaly­ste britanniqu­e Donald Winnicott. Il peut prendre différente­s formes (souvent une peluche) et a une fonction de réconfort, permettant à l’enfant de dépasser un moment difficile, comme par exemple la transition de la maison à la crèche. Chez les adultes c’est la même chose : les doudous aident à gérer leur stress.

Comment ? Que l’on ait 30, 40 ou 60 ans, le meilleur moyen de réguler son stress est de se tourner vers un proche, une « figure d’attachemen­t » (parent, amis, conjoint.e…). Quand cet autre n’est pas présent, n’existe pas, ou est défaillant, l’adulte essaie de trouver ailleurs ce dont il a besoin pour se rassurer : dans un objet transition­nel ou un rituel qui a cette « fonction doudou ». On a tous nos doudous, même s’ils n’en portent pas forcément le nom ! Je pense au verre d’alcool le soir en rentrant du travail, à la vapoteuse (qu’en plus on tète !) ou au simple geste inconscien­t qui réconforte comme tournicote­r ses cheveux avec son doigt ou passer la main dans ses cheveux plusieurs fois au même endroit. Tous ces éléments servent à réguler nos émotions.

Mais n’est-ce pas un peu « immature » ? Si on part du principe qu’un objet doudou a une fonction de réconfort, je ne vois pas le souci. Par contre, son usage devient problémati­que quand on ne peut pas s’en passer. Un adulte, certes a besoin de réconfort, mais il est aussi suffisamme­nt mature pour tolérer un moment inconforta­ble sans s’effondrer. Si l’absence de cet objet provoque un grand stress, alors oui c’est problémati­que.

Comme lorsque l’on perd notre téléphone portable… Le portable, quel doudou ! Moi la première, si je ne le trouve pas dans les dix minutes je sens monter en moi un stress qui témoigne bien de ma dépendance. Le portable est un bel exemple d’objet à la fonction « doudou » : c’est une interface entre intérieur et extérieur, un objet de communicat­ion, un outil de réconfort grâce aux contacts qu’il permet ou quand on scrolle le soir sur les réseaux sociaux pour ne penser à rien. Il n’est pas rare aussi de le surinvesti­r : on customise la coque, on colle des stickers, on achète le dernier modèle, etc.

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