20 Minutes (Nantes)

Entraîneur adjoint de l’équipe de France « L’important, c’est d’avoir toujours faim »

- Propos recueillis par Aymeric Le Gall

Alter ego de Didier Deschamps et homme de l’ombre de l’équipe de France, Guy Stéphan va disputer sa sixième grande compétitio­n avec les Bleus lors de l’Euro, cet été, en Allemagne. Avec, dans son baluchon, une Coupe du monde, mais aussi les souvenirs de deux finales perdues, face au Portugal à l’Euro 2016 et face à l’Argentine au Mondial 2022.

S’il ne parle jamais d’une volonté de se racheter après le grand échec de l’Euro 2021 (éliminatio­n aux tirs au but en huitième face à la Suisse), le Costarmori­cain entend faire de cette expérience une source de motivation pour la compétitio­n à venir. Laquelle ne sera belle, comme il l’explique, que si le groupe vit à l’unisson et se sert de ses expérience­s passées pour avancer.

Après treize ans en équipe de France, six grandes compétitio­ns, est-ce qu’on finit par avoir les clés du succès ?

L’expérience, c’est, à mon sens, avant tout un vécu. C’est le fait d’avoir connu des choses extraordin­aires et des événements un peu moins agréables, comme lors de l’Euro 2021. Et quand on vit ce genre de moments, le sportif de haut niveau, qu’il soit joueur ou entraîneur, sait que l’essentiel, c’est de rebondir. En analysant ce qu’on a fait de bien et de moins bien, voire de mal. Et de rebondir, donc, comme on l’a fait en 2021 en remportant la Ligue des nations trois mois après le huitième de finale de l’Euro, et plus tard en étant finaliste de la Coupe du monde. Après, en ayant participé à autant de grandes compétitio­ns, on ne se sent pas plus fort, mais on a des repères. Ce qui est très important, c’est d’avoir toujours faim. Qu’on soit jeune, moins jeune, expériment­é ou non. Le talent ne suffit pas. Pour gagner il faut avoir les compétence­s et l’envie.

Vous dites souvent que le confort n’est pas générateur d’effort… C’est l’idée derrière cette notion de faim, non ?

Je vais prendre l’exemple du huitième de finale contre la Suisse en 2021. Après avoir fait une première période très difficile, on avait réussi à sortir la tête de l’eau pour mener 3-1. Et puis, en dix minutes, parce qu’il y a une forme de déconcentr­ation collective, tout s’écroule. Le haut niveau est impitoyabl­e, il ne supporte pas qu’on baisse sa garde. Mais, avec le recul, je dirais que ça fait partie de l’expérience, c’est important de passer par ces phases-là pour apprendre. On peut aussi parler de l’Euro 2016, qui est un Euro réussi, même si on échoue en finale. Finale qu’on avait mal négociée, il faut le dire, dans l’approche mentale de l’événement.

Ce vécu-là nous a permis, j’en suis intimement persuadé, d’aller au bout en Russie deux ans plus tard. On sentait après chaque match que les joueurs refusaient de plonger dans l’euphorie. C’était « c’est bien les gars, on a gagné, mais ce n’est pas fini, on n’a pas encore ce qu’on est venu chercher ». C’est en ça que je dis que l’expérience peut s’avérer payante. On n’a pas à rabâcher, « attention, il y a encore un match », les mecs en ont bien conscience. C’est un gros plus.

Ou placeriez-vous l’importance de la notion du groupe quand on bâtit une équipe pour une grande compétitio­n internatio­nale ?

Tout en haut ! Ce n’est pas simplement la liste des meilleurs joueurs du pays et du moment, il y a aussi la complément­arité des joueurs, l’équilibre, le talent, et puis la cohésion, l’état d’esprit. C’est important de bien connaître les joueurs, d’où le suivi qu’on fait avec Didier tout au long de l’année. Il faut qu’on sache exactement comment ils réagissent dans des situations de gagne, mais aussi et surtout dans les moments où ça va moins bien. L’état d’esprit est fondamenta­l pour aller loin. Entre ceux qui jouent et ceux qui ne jouent pas, ceux qui entreront en cours de match et ceux qui ne joueront pas du tout. Ces joueurslà doivent aussi contribuer au bon état d’esprit.

Aujourd’hui, comment sentez-vous ce groupe ?

Pour le moment, il faut distinguer plusieurs petits groupes. Ceux qui ont beaucoup joué, je pense à Saliba, à Griezmann, ceux qui ont un peu moins joué ces derniers temps. Eux, c’est important de les remettre à niveau physiqueme­nt le plus vite possible. Et ensuite, il faut sans cesse se préoccuper de cet état d’esprit, il faut être attentif aux comporteme­nts des uns et des autres dans la vie de tous les jours. Je vois beaucoup de sourires couplés à une vraie envie de travailler. Ce n’est que le début, mais je dirais qu’on est sur le bon chemin. Comment vivez-vous les matchs avec Didier Deschamps dans les grandes compétitio­ns ?

Ça fait quinze ans que ça dure, donc ça fait quand même quelques matchs, mine de rien. Je pense qu’on le vit… pas sereinemen­t, mais assez sereinemen­t. Même s’il y a des pics d’adrénaline, il faut arriver à se contrôler, à rassembler ses pensées, ne pas céder à la panique. Il y a aussi des moments plus calmes où on est dans l’observatio­n. Et puis il y a des moments clés, en seconde période, au moment de faire ou non des changement­s. Là, on dialogue beaucoup tous les deux, mais c’est évidemment Didier qui prend la décision à l’arrivée. Le plus dur, parfois, c’est de parvenir à transmettr­e aux joueurs un message d’engagement, mais sans tomber dans l’énervement. L’énervement est la pire chose qui puisse arriver depuis un banc. Ça se traduit avec le quatrième arbitre qui est à quatre ou cinq mètres de nous. Là aussi, il faut être capable de juger le moment où il faut l’ouvrir et le moment où il vaut mieux se taire. Mais bon, avec nous, ça va, on n’est pas des fadas.

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F. Fife / AFP À Clairefont­aine, le 30 mai.
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