Arrêtée en avril à Montréal, une journaliste s’inquiète pour la liberté de la presse
Plus les jours passent de‐ puis son arrestation, plus la journaliste Savanna Craig dit s'inquiéter pour la liberté de la presse au Ca‐ nada. Elle croit être la plus récente victime d’« une tendance à l'intimidation et à la répression des auto‐ rités envers les journalistes » qui se répand dangereu‐ sement au pays, selon elle.
Le 15 avril dernier, des manifestants propalestiniens ont organisé un sit-in dans une banque, à quelques pas du campus de l'Université McGill, à Montréal, bloquant l’accès aux guichets. La jour‐ naliste affirme qu'elle cou‐ vrait la manifestation de l’in‐ térieur, comme elle a l’habi‐ tude de le faire.
Lorsque la police est arri‐ vée, je me suis présentée comme journaliste et j’ai pré‐ senté ma carte de presse à plusieurs reprises, raconte-telle. J’ai répété clairement que je n’étais pas une mani‐ festante. Elle a malgré tout été arrêtée avec la cinquan‐ taine de protestataires.
La journaliste se spécia‐ lise dans le mouvement pro‐ palestinien depuis huit ans, couvrant les enjeux et les manifestations pour CUTV, la télévision de l’Université Concordia, et pour le Middle
East Eye, entre autres.
Depuis l’embrasement du conflit au Moyen-Orient, elle tend sans relâche son micro aux manifestants de Mon‐ tréal, autant les jours calmes que ceux de grosses nou‐ velles. Elle dit avoir ainsi tissé un lien de confiance profes‐ sionnel avec eux.
Près de trois mois après son arrestation, l’enquête est toujours en cours. Savanna Craig pourrait faire face à des accusations criminelles de méfait. Ça m’en fait beau‐ coup à gérer, soupire-t-elle.
Alors que le dénouement de son histoire se fait at‐ tendre, elle soutient qu’une violation de la liberté de presse devrait être résolue beaucoup plus rapidement.
Savanna Craig sent qu’elle doit non seulement défendre sa cause, mais aussi celle de tous les journalistes du Ca‐ nada, face à ce qu'elle décrit comme une montée de l’inti‐ midation des autorités en‐ vers les journalistes.
Je veux qu’aucun journa‐ liste n’ait à vivre ce que je vis. Savanna Craig, journaliste En tant que journaliste, je ne devrais pas me trouver dans cette situation, déploret-elle. Je n’ai rien fait de mal,
j’avais le droit d’être là.
Arrestation et remise en liberté
Quelques mois avant ces événements, une autre jour‐ naliste a subi une arrestation semblable alors qu’elle cou‐ vrait de l’intérieur le déman‐ tèlement d’un campement d’itinérants à Edmonton. Les accusations d'entrave au tra‐ vail des policiers à son en‐ droit ont été abandonnées deux mois plus tard.
Se rappelant aussi le cas de deux journalistes arrêtés et détenus lors d'une situa‐ tion tendue provoquée par la construction d’un gazoduc en territoire Wet’suwet’en en 2021, Savanna Craig conclut qu’il ne s’agit plus de cas iso‐ lés.
En entamant des procé‐ dures judiciaires contre des journalistes, les autorités tentent de [leur] passer un message et de [les] faire taire, soutient-elle.
Les organismes de dé‐ fense de la liberté de la presse, dont Reporters sans frontières (RSF), ont dénoncé en bloc cette tactique d’arres‐ tation et de remise en liberté. Dans le plus récent classe‐ ment mondial de la liberté de la presse de RSF, le Canada arrive au 14e rang.
Ces arrestations arbi‐ traires font des dommages irréparables au droit à l’infor‐ mation du public, a pour sa part averti le président de l’Association canadienne des journalistes, Brent Jolly.
En empêchant les journa‐ listes de faire leur travail, [...] les autorités menacent de sa‐ per la légitimité démocra‐ tique des institutions qu'elles sont censées servir.
Brent Jolly, président de l'Association canadienne des journalistes
Pour Savanna Craig, ces arrestations sont faites pour culpabiliser les journalistes et pour les décourager de faire leur travail.
Ce n’est pas seulement un enjeu pour les journalistes, rappelle Mme Craig, c’en est un pour toute la société. La population doit être en me‐ sure de comprendre les cir‐ constances et le contexte derrière chaque nouvelle, poursuit-elle, et la présence des journalistes sur le terrain est essentielle pour y arriver.