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Se relever du glissement de terrain de RivièreÉte­rnité

- Annie-Claude Brisson

Jean-Philippe Caty revient de loin. Il y a un an, un court séjour improvisé avec son amoureuse à Ri‐ vière-Éternité a failli lui coûter la vie. Il a été grave‐ ment blessé dans un glisse‐ ment de terrain mortel. Sa conjointe Pascale Racine a péri, tout comme Pascal Héon, un homme qui n’a aucun lien avec le couple. Aujourd'hui, le rescapé tient debout sur ses deux jambes devant la rivière Éternité, où il a attendu les secours pendant 90 mi‐ nutes.

Il est retourné dans le Bas-Saguenay au début du mois de juin où s’est joué le drame. Un retour difficile, mais nécessaire. Il l’a fait en compagnie de celui qui l’a trouvé, puis secouru, le pom‐ pier volontaire Kevin Gagné.

C’est un moment qui est assez fort, d’être avec la per‐ sonne qui t’a sauvé la vie, face à l’endroit où il t’a trouvé puis sorti avec des cordes, d’être debout avec lui à re‐ garder la rivière une journée où le soleil sort doucement, témoigne Jean-Philippe Caty.

Il ne compte pas retour‐ ner à Rivière-Éternité de si‐ tôt.

La plus longue année de sa vie

Jean-Philippe nous donne rendez-vous dans un parc en bordure du fleuve SaintLaure­nt tout près de Québec, où il réside. Il sourit à pleine dent. Pourtant, il vient de tra‐ verser la plus longue année de sa vie. Après avoir côtoyé l’horreur, la vie prend tout son sens.

J’ai la chance d’être encore ici. C’est un long chemine‐ ment, c’est un long parcours de guérison, autant physique que psychologi­que. Ce n’est pas terminé d’ailleurs, ça laisse des traces indélébile­s.

Jean-Philippe Caty, res‐ capé

C’est de vivre un accident, un traumatism­e très grave que j’ai partagé avec ma blonde et il y avait quelqu’un d’autre qui était sur la chaus‐ sée. De se réveiller quelques jours plus tard à l’hôpital, de se dire elle est où? Ils sont où? Qu’est-ce qui s’est passé?, évoque-t-il.

Dix opérations, 75 jours d’hospitalis­ation et des cen‐ taines d’heures de réadapta‐ tion plus tard, il s’approche de la fin de sa récupérati­on physique. Il pourra enfin dé‐ laisser sa canne au cours des prochaines semaines. Il re‐ noue tranquille­ment avec le travail. Il devra être patient, mais pourra reprendre une vie normale. Une chance dans la malchance, il en convient.

Jean-Philippe se recons‐ truit seul, sans sa copine. Malgré cette lourde perte, il répétera à maintes reprises, pendant l’entretien, la chance qu’il a d’être entouré de sa fa‐ mille, de ses amis et des pro‐ fessionnel­s de la santé.

Il en portera les marques pour le reste de sa vie, tout comme la famille de Pascale Racine et de Pascal Héon.

C’est pour cette raison qu’on se parle aujourd’hui, il y a un devoir de mémoire qui doit être rendu pour ces per‐ sonnes qui y ont laissé leur vie pendant cette triste jour‐ née-là, indique-t-il.

Une escapade tourne au drame qui

Résidents du secteur de Québec, Jean-Philippe et Pas‐ cale ont mis le cap vers Ri‐ vière-Éternité un peu par ha‐ sard et à la dernière minute. Le couple, qui en était à se première visite, devait cam‐ per pendant trois jours au Parc national du Fjord-du-Sa‐ guenay de la Société des éta‐ blissement­s de plein air du Québec (SÉPAQ). Il prévoyait faire de la randonnée pé‐ destre pendant ce séjour im‐ provisé en amoureux.

La pluie intense et un orage qui se dessinaien­t audessus du fjord les ont ame‐ nés à faire demi-tour le sa‐ medi matin. Sur le chemin du retour, les précipitat­ions de‐ venaient de plus en plus in‐ tenses. Des alertes annon‐ çant des prévisions météoro‐ logiques extrêmes réson‐ naient sur leur cellulaire. L’eau s’accumulait dans le sentier atteignant la moitié de leurs tibias.

C’était une quantité d’eau assez impression­nante. Quand on a regagné la voi‐ ture, on était content d’être à l’abri.

Jean-Philippe Caty, res‐ capé

Sur la route les menant vers leur campement, le duo s’est buté à un arbre qui blo‐ quait le chemin. Il a attendu un certain temps avant de voir un employé de la SÉPAQ.

Il venait dégager la chaussée. Au même moment, un autre véhicule s’est immobilisé der‐ rière eux. Le conducteur en est sorti pour donner un coup de main. Le duo a fait de même.

On pensait tellement que c'était simple à dégager que la voiture est restée en marche.

Jean-Philippe Caty, res‐ capé

C’est en tentant de bouger l’arbre que le groupe a com‐ pris qu’il arrivait fort proba‐ blement du haut de la mon‐ tagne. La végétation dense empêchait d’avoir un portrait clair de ce qui avait bien pu se passer.

Puis, un bruit sourd a ré‐ sonné dans la forêt.

La personne qui était de l’autre côté de l’arbre a crié. On a juste eu le temps de partir à la course pour se faire rattraper par un tsu‐ nami de vase et de débris qui nous ont propulsés hors de la chaussée.

Le glissement de terre a jeté sa conjointe et l’autre au‐ tomobilist­e dans la rivière. Le garde-fou a sauvé la vie de Jean-Philippe, mais non sans lui causer de graves bles‐ sures.

J’ai culbuté, c’est à ce mo‐ ment que mes jambes se sont brisées à l’impact.

90 minutes à s’accrocher

Assis dans la rivière, JeanPhilip­pe a levé les yeux au ciel cherchant à comprendre ce qui venait de se passer. La route et le garde-fou se trou‐ vaient au-dessus de lui.

Pendant 90 minutes, 5400 longues secondes, Jean-Phi‐ lippe s’est accroché à des branches pour éviter d'être emporté par le courant. Il s’est aussi accroché à la vie.

La seule chose qui m’a tenu en vie, ce sont mes en‐ fants. De me dire que ce n’est pas là que la vie allait s’arrê‐ ter, que ce n’est pas vrai que ça allait m’avoir, que j’allais disparaîtr­e.

Jean-Philippe Caty, res‐

capé

Dans l’attente d’être se‐ couru, Jean-Philippe reposait dans l’eau froide de la rivière. Si au début, il criait intensé‐ ment pour obtenir de l’aide, il a rapidement compris qu’il devrait ménager son énergie. Il se doutait bien que l’impact à ses jambes était majeur.

Il s'agrippait du mieux qu’il pouvait alors que les arbres, les roches et les dé‐ bris défilaient devant lui. Il ne souhaitait qu’une seule chose, que la pluie s’arrête pour que le niveau de la ri‐ vière cesse d’augmenter.

J’avais l’impression que j'allais être enseveli, que j’al‐ lais partir dans le courant, que j’allais recevoir un débris, poursuit-il.

Jean-Philippe Caty a fina‐ lement entendu la voix d’un pompier volontaire disant : Bouge pas, on est là.

Je me suis levée la tête. Entre la route et le garde-fou où je regardais le ciel, j’ai vu quelqu’un arriver avec son casque de sauvetage. C’était Kevin.

Jean-Philippe Caty, res‐ capé

Pas de Kevin, pas de JeanPhilip­pe. C’est la vérité. Et son partenaire aussi qui était là avec lui. Kevin, c’est lui qui m’a sorti de là. Il est des‐ cendu dans la rivière pour mettre les cordes pour être capable de me tirer. Luimême a risqué sa vie pour sauver la mienne. C’est quelque chose d’avoir le cou‐ rage comme personne de faire ça.

Jean-Philippe Caty pensait être rapidement tiré d'af‐ faires. Il n’avait aucune idée du territoire qui l'entourait. Il croyait que le sauvetage se terminerai­t au moment où il retrouvera­it la chaussée. Le trajet de quatre kilomètres vers l’ambulance qui les at‐ tendait au coeur de la munici‐ palité s’annonçait hasardeux. La route était démolie et obs‐ truée à plusieurs endroits.

Il a souvenir d’une route très cahoteuse. Kevin devait me maintenir en vie, me gar‐ der éveillé. Le danger, c’est de s’endormir pour ne pas se réveiller.

Jean-Philippe était loin d’être au bout de ses peines. Une heure de route le sépa‐ rait encore de l’hôpital de Chicoutimi.

Il souffrait de blessures traumatiqu­es très graves, avait perdu beaucoup de sang en plus d’être en hypo‐ thermie sévère. Le temps passé dans l’eau avait infecté

ses nombreuses plaies.

Se réappropri­er son his‐ toire

Quelques jours après l’ac‐ cident, Jean-Philippe s’est in‐ téressé à ce qui avait été écrit et dit par les médias. Il re‐ cueillait un maximum d'infor‐ mations pour recoller les morceaux de sa propre his‐ toire.

Il y a eu 82 sites d’éboule‐ ment. Je connais quand même bien les détails parce que j’ai cherché à les com‐ prendre, indique-t-il. Dans le but de guérir, j'avais besoin d’être capable de visualiser ce à travers quoi j’étais passé.

Il a également ressenti le besoin d’être en contact avec celui qui l’a sauvé. C’était pour être capable de classi‐ fier certaines choses au ni‐ veau de l’accident, pour être capable de cheminer, ex‐ plique-t-il.

Jean-Philippe parle de tous ceux qui l’ont maintenu en vie, mais très peu de lui, de ce qui lui a permis de tra‐ verser la dernière année.

On ne sait jamais com‐ ment on va réagir face à des situations comme ça. D'au‐ cune manière, personne ne peut activer cette fonction de survie. Je ne souhaite à per‐ sonne de devoir l’activer. J’ai eu à l’activer, faut croire qu’elle fonctionne bien.

À quelques reprises, les intervenan­ts se sont de‐ mandé s’il allait survivre. Une dizaine de jours après l’acci‐ dent, il a lui-même demandé à un médecin spécialist­e s’il était réchappé.

Le fait de survivre à la tra‐ gédie fut même parfois lourd.

Tu te retrouves à un en‐ droit. Il y a trois personnes. Il y en a une qui survit et deux qui décèdent. D’aucune ma‐ nière, il ne faut chercher à comprendre. Il n’y a rien à comprendre. C’est le coup du destin.

Jean-Philippe Caty, res‐ capé

Le soleil après la tem‐ pête

Jean-Philippe devait partir pour une escapade de trois jours. Il est finalement rentré à la maison 75 jours plus tard.

J’ai raté une saison. Je suis parti au début de l’été et je suis revenu à l’automne. Quand je suis revenu chez moi, ce n’était pas partie ga‐ gnée. Dix opérations, la chaise roulante, huit mois de béquilles. Depuis peu, je suis debout, ç’a été beaucoup de travail pour arriver là.

Sauf la canne qui l’aide à se déplacer, rien ne laisse pa‐ raître ce qu’a vécu Jean-Phi‐ lippe. Mais la vie ne sera plus jamais pareille.

Le temps fait déjà son oeuvre. Pendant sa guérison, un intervenan­t avait dit à Jean-Philippe que des épreuves comme il a vécu laissent un cadeau mal em‐ ballé. Aujourd’hui, il en com‐ prend le sens. Il n’a pas tra‐ versé cette épreuve en vain.

Savourer le moment pré‐ sent a du sens plus que ja‐ mais pour celui qui soufflera 43 bougies plus tard cet été.

Jean-Philippe Caty a une pensée pour ceux qui ont perdu un proche dans ce drame.

Il y a une suite, il y a une raison pour laquelle on est là. J’ai envie de continuer, d’honorer la mémoire de ceux qui sont disparus. J’ai encore la chance d'être ici, donc, tu peux être sûr et cer‐ tain que je vais en profiter pleinement, conclut-il.

L’été de Jean-Philippe Caty sera marqué par sa récupé‐ ration, mais surtout par des vacances prévues avec ses trois filles. Une saison qu’il n’a pas l’intention de rater cette fois.

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