Pourquoi les chips sont-elles devenues si « chères »?
Le prix des croustilles a augmenté d'environ 50 % à 100 %, selon les marques, depuis la pandémie, se plaignent des consomma‐ teurs. La hausse du coût des ingrédients y est pour quelque chose, mais des analystes montrent aussi du doigt les producteurs et les épiciers.
5 $ pour un sac de crous‐ tilles, c'est ridicule, dénonce la consommatrice Jennifer Scottwood, interrogée à la sortie d'une épicerie de To‐ ronto. Elle essaie d'acheter des fruits en collation à la place, dit-elle.
Suzanna Mak, une autre cliente, n'achète plus des chips qu'à l'occasion. C'est devenu cher, se plaint-elle, et ce n'est pas bon pour la santé. Elle opte plutôt pour les croustilles de plantain.
Le prix des aliments a beaucoup augmenté en gé‐ néral depuis la pandémie, note Ron (qui préfère taire son nom de famille). Le prix de sa marque de chips préfé‐ rée, les Ruffles, a doublé, ditil. Le Torontois achète main‐ tenant tout ce qui est pas cher, y compris les marques maison.
L'industrie alimentaire a fait face à de grandes pres‐ sions en matière de coûts de production depuis la pandé‐ mie, tant au niveau de la main-d'oeuvre que des ingré‐ dients, explique Dimitri Fraeys, vice-président innova‐ tion et affaires économiques au Conseil de la transforma‐ tion alimentaire du Québec (CTAQ).
Les croustilles, c'est d'abord et avant tout des pommes de terre et de l'huile. Le prix des pommes de terre a augmenté entre 40 % et 50 % au cours des der‐ nières années et les huiles, entre 100 % et 150 %.
Dimitri Fraeys, Conseil de la transformation alimentaire du Québec
Les grands fabricants, que ce soit Frito-Lay, Old Dutch, Covered Bridge ou Yum Yum, ont refusé de commenter ou n'ont pas répondu à nos courriels.
À lire et à écouter :
Le prix de l'huile d'olive dopé par les changements climatiques Les Canadiens pensent que l’inflation à l’épi‐ cerie s’aggrave, alors qu'elle ralentit Les chips, victimes de la réduflation
Aussi la faute des pro‐ ducteurs et des épiciers?
Il est vrai que le prix des pommes de terre et des huiles qui entrent dans la fa‐ brication des chips ont aug‐ menté de façon significative depuis 2020, selon Fraser Johnson, spécialiste des chaînes d'approvisionnement et professeur à l'École de gestion Ivey de l'Université Western de London.
Il ajoute toutefois que le coût de ces denrées se stabi‐ lise.
Le professeur Johnson ne s'attend pas pour autant à une baisse du prix des crous‐ tilles.
Si les gens sont habitués à payer 5 $, les fournisseurs ne vont pas réduire leur prix. Mais ils pourraient offrir des promotions comme un sac gratuit à l'achat de deux.
Fraser Johnson, profes‐ seur de gestion, Université Western
Certaines marques sont aussi offertes à un prix réduit à l'achat de deux sacs, par exemple.
Pour le professeur John‐ son, il s'agit d'une façon pour les producteurs d'attirer les consommateurs, tout en pro‐ tégeant leur prix.
Sylvain Charlebois, expert agroalimentaire et profes‐ seur à l'Université Dalhousie d'Halifax, montre également du doigt les épiciers, qui exigent des frais aux fournis‐ seurs en échange d'une place sur leurs tablettes.
L'accroissement de ces frais jumelé à la hausse des coûts de production peuvent forcer les fabricants à haus‐ ser leurs prix, afin de proté‐ ger leurs profits.
Ces tractations ont été ex‐ posées au grand jour, note le professeur Charlebois, lors de la guerre des chips entre Frito-Lay et Loblaw en 2022. Le fournisseur a alors sus‐ pendu temporairement ses livraisons à la chaîne d'épice‐ ries, à la suite d'un différend sur les prix.
Le code de conduite [des épiciers] pourrait régler une partie du problème.
Sylvain Charlebois, profes‐ seur en agroalimentaire, Uni‐ versité Dalhousie
Ce code de conduite des épiceries, à l'étude à Ottawa, vise à favoriser une plus grande transparence dans le marché.
On a un système actuelle‐ ment qui décourage la com‐ pétition en amont de la chaîne, affirme le professeur Charlebois.
Marques nationales ou maison?
Depuis janvier, le prix des croustilles a augmenté en moyenne de 5,7 % au Ca‐ nada, toute marque confon‐ due, indique le professeur Charlebois.
Il estime toutefois que la hausse est probablement d'au moins 10 % pour les grandes marques nationales, parce que le prix des marques privées des super‐ marchés a peu augmenté en général.
Il explique que les marques maison ne sont « pas exposées au jeu en amont de la chaîne », contrai‐ rement aux marques natio‐ nales dont les fabricants doivent payer des frais aux épiciers. C'est sans parler des frais de marketing en moins.
Le professeur Charlebois incite justement les consom‐ mateurs à la recherche d'éco‐ nomies à se tourner vers ces marques privées, moins chères, tout en ajoutant que les carottes sont meilleures pour la santé. Les marques privées sont souvent pro‐ duites par les mêmes manu‐ facturiers qui ont des marques nationales, sou‐ tient-il.
De son côté, le professeur Johnson conseille aux consommateurs de surveiller les promotions. Même son de cloche de la part de M. Fraeys, qui souligne que des applications permettent de comparer les prix des chips d'une semaine à une autre dans différents supermar‐ chés.
Les fendent épiciers se dé‐
Les croustilles n’ont pas échappé au phénomène mondial de l’inflation, et comme nous la faisons chaque fois que nous rece‐ vons une augmentation de prix d'un fournisseur, nous la validons et la négocions dans la mesure du possible, af‐ firme par courriel Geneviève Grégoire, cheffe des commu‐ nications pour Metro.
Si la demande est basée sur des augmentations de coûts légitimes supportées par le fournisseur, nous l'ac‐ ceptons généralement. La dy‐ namique est la même tant pour les marques nationales que privées, ajoute-t-elle.
Nous savons que les Ca‐ nadiens adorent les colla‐ tions salées et, chez Walmart, nous continuons de miser sur l’offre de bas prix de tous les jours pour les croustilles, et ce, malgré les hausses des coûts considérables de nos fournisseurs depuis les deux dernières années, indique le porte-parole Steeve Azoulay.
Il affirme aussi que les chips maison de Walmart (Great Value) sont offerts à un prix inférieur à celui au‐ quel ils étaient vendus à pa‐ reille date l'an dernier.
Sobeys et Provigo nous renvoient aux fournisseurs. Loblaw et Costco n'ont pas répondu à notre demande de commentaire.
À écouter :
Créer une saveur de chips, un art sensoriel teinté de marketing
La réponse d'Ottawa
Le gouvernement de Jus‐ tin Trudeau cite les projets de loi C-56 et C-59 comme preuves qu'Ottawa prend au sérieux la question de la concurrence dans le secteur alimentaire.
Les Canadiens méritent, et s'attendent à des prix justes et équitables lorsqu'ils font leurs achats à l'épicerie, et c'est pourquoi nous tra‐ vaillons à garantir l'équité et la transparence dans l'indus‐ trie alimentaire.
Audrey Milette, attachée de presse du ministre de l’In‐ novation, des Sciences et de l’Industrie François-Philippe Champagne (courriel)
Francis Chechile, porteparole du ministre de l’Agri‐ culture et de l’Agroalimen‐ taire Lawrence MacAulay, précise par courriel que le code de conduite des épi‐ ciers n'est pas une mesure vi‐ sant à baisser les prix des ali‐ ments.
L'objectif du Code est d'apporter équité, transpa‐ rence et prévisibilité à notre secteur de l'épicerie et à notre chaîne d'approvision‐ nement, dit-il.
Nous appelons Walmart et Costco à faire ce qu'il faut et à signaler leur participa‐ tion au Code de conduite des produits de l’épicerie dirigé par l'industrie, ajoute-t-il. Entre-temps, nous explorons toutes les options fédérales disponibles, y compris la lé‐ gislation.
Ottawa presse également les provinces à prendre part au projet de code de conduite, faisant valoir que « certains aspects clés du Code relèvent de la compétence provinciale ». Une rencontre des ministres fédéral et pro‐ vinciaux de l'Agriculture doit avoir lieu en juillet.