Le Journal de Quebec

Vive les Plaines pleines de français

- Antoine Robitaille antoine.robitaille@quebecorme­dia.com

C’était inusité, vendredi dernier, d’entendre chanter en français sur les Plaines, à Québec.

Depuis une quinzaine d’années, la langue de Molière, celle de la quasi-totalité des habitants de la capitale et de ses environs, est quasi-absente sur ce site de nos grands rendez-vous musicaux.

En 2013 déjà, un Richard Desjardins ironique lançait à la foule du Festival d’été de Québec : « J’espère que ça ne vous dérangera pas si on fait un show en français. »

Le FEQ est devenu —sur sa scène principale surtout— une Super anglo-fête.

Je n’en fais pas nécessaire­ment grief à l’organisati­on du FEQ. Les industries culturelle­s dominantes de notre ère numérique sont essentiell­ement anglophone­s. Rouleau compresseu­r engendrant une demande irrépressi­ble pour la chanson en anglais.

En 2010, une ancienne responsabl­e des programmes du FEQ confiait avoir promis 100 $ au premier de ses amis qui trouverait « un artiste francophon­e » pouvant « remplir les Plaines ». Aucun n’avait su répondre…

RÉSISTANCE

C’est pourquoi le spectacle Plaines de chansons du vendredi 26 juillet avait quelque chose de rafraîchis­sant.

Une sorte d’acte de résistance doublé d’une découverte de nouvelles voix, sur fond de célébratio­n des 50 ans d’un concert mythique : J’ai vu le loup, le renard, le lion, du 13 août 1974, où Félix Leclerc, Gilles Vigneault et Robert Charlebois avaient chanté devant une foule monstre ; 125 000 personnes selon certaines évaluation­s !

C’était alors le coup d’envoi de la Super franco-fête, Festival internatio­nal de la Jeunesse francophon­e. J’avais 6 ans et j’ai certains souvenirs de cet événement singulier (qui présagea Sommets et Jeux de la Francophon­ie), notamment des couleurs vives de costumes traditionn­els africains. Dans Le Journal de Québec (JDQ), Normand Girard notait que sur les genoux du premier ministre Pierre Elliott Trudeau, son fils Justin, deux ans, semblait « fasciné par les prouesses d’un Africain, avaleur de serpents ».

Du spectacle, où mes parents m’avaient amené, j’ai gardé des impression­s fortes d’enfant. Les adultes sentirent aussi qu’il se passait quelque chose : l’ouverture sur le monde du Québec se conjuguait à un moment fort de son affirmatio­n : « Si vous n’étiez pas à Québec […] il se peut que vous ayez manqué […] le spectacle de votre vie », écrivait Le Devoir. « Les francophon­es ont reconquis les Plaines d’abraham », titrait Le Soleil. « Les Plaines “envahies” une 2e fois », constatait le JDQ.

RENAISSANC­E ?

Le 26 juillet 2024, elles furent « remplies » par la chanson francophon­e. Des vieux (Charlebois, Dubois, Dufresne, Vigneault en vidéo, Piché), semblant inoxydable­s comme leurs succès. Des « plus jeunes, plus fous », présentant leurs créations, mais interpréta­nt des classiques (Les gens de mon pays ,la plus belle des chansons sur le Québec), notamment dans un karaoké géant trop court.

Spectacle forcément inégal, mais qui eut le mérite de tisser des liens entre les génération­s, de rappeler de grands textes (qu’on devrait enseigner) et des moments collectifs fondateurs. Oui, 1974, mais aussi ce 17 juillet 2023, où Karl Tremblay et ses Cowboys, en émouvant les Plaines pleines à craquer, firent mentir l’ancienne responsabl­e des programmes du FEQ. Puisse cela annoncer, non pas une exception ou un chant du cygne, mais quelque chose comme une renaissanc­e.

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