Vive les Plaines pleines de français
C’était inusité, vendredi dernier, d’entendre chanter en français sur les Plaines, à Québec.
Depuis une quinzaine d’années, la langue de Molière, celle de la quasi-totalité des habitants de la capitale et de ses environs, est quasi-absente sur ce site de nos grands rendez-vous musicaux.
En 2013 déjà, un Richard Desjardins ironique lançait à la foule du Festival d’été de Québec : « J’espère que ça ne vous dérangera pas si on fait un show en français. »
Le FEQ est devenu —sur sa scène principale surtout— une Super anglo-fête.
Je n’en fais pas nécessairement grief à l’organisation du FEQ. Les industries culturelles dominantes de notre ère numérique sont essentiellement anglophones. Rouleau compresseur engendrant une demande irrépressible pour la chanson en anglais.
En 2010, une ancienne responsable des programmes du FEQ confiait avoir promis 100 $ au premier de ses amis qui trouverait « un artiste francophone » pouvant « remplir les Plaines ». Aucun n’avait su répondre…
RÉSISTANCE
C’est pourquoi le spectacle Plaines de chansons du vendredi 26 juillet avait quelque chose de rafraîchissant.
Une sorte d’acte de résistance doublé d’une découverte de nouvelles voix, sur fond de célébration des 50 ans d’un concert mythique : J’ai vu le loup, le renard, le lion, du 13 août 1974, où Félix Leclerc, Gilles Vigneault et Robert Charlebois avaient chanté devant une foule monstre ; 125 000 personnes selon certaines évaluations !
C’était alors le coup d’envoi de la Super franco-fête, Festival international de la Jeunesse francophone. J’avais 6 ans et j’ai certains souvenirs de cet événement singulier (qui présagea Sommets et Jeux de la Francophonie), notamment des couleurs vives de costumes traditionnels africains. Dans Le Journal de Québec (JDQ), Normand Girard notait que sur les genoux du premier ministre Pierre Elliott Trudeau, son fils Justin, deux ans, semblait « fasciné par les prouesses d’un Africain, avaleur de serpents ».
Du spectacle, où mes parents m’avaient amené, j’ai gardé des impressions fortes d’enfant. Les adultes sentirent aussi qu’il se passait quelque chose : l’ouverture sur le monde du Québec se conjuguait à un moment fort de son affirmation : « Si vous n’étiez pas à Québec […] il se peut que vous ayez manqué […] le spectacle de votre vie », écrivait Le Devoir. « Les francophones ont reconquis les Plaines d’abraham », titrait Le Soleil. « Les Plaines “envahies” une 2e fois », constatait le JDQ.
RENAISSANCE ?
Le 26 juillet 2024, elles furent « remplies » par la chanson francophone. Des vieux (Charlebois, Dubois, Dufresne, Vigneault en vidéo, Piché), semblant inoxydables comme leurs succès. Des « plus jeunes, plus fous », présentant leurs créations, mais interprétant des classiques (Les gens de mon pays ,la plus belle des chansons sur le Québec), notamment dans un karaoké géant trop court.
Spectacle forcément inégal, mais qui eut le mérite de tisser des liens entre les générations, de rappeler de grands textes (qu’on devrait enseigner) et des moments collectifs fondateurs. Oui, 1974, mais aussi ce 17 juillet 2023, où Karl Tremblay et ses Cowboys, en émouvant les Plaines pleines à craquer, firent mentir l’ancienne responsable des programmes du FEQ. Puisse cela annoncer, non pas une exception ou un chant du cygne, mais quelque chose comme une renaissance.