Le Journal de Quebec

Une ultime thérapie à la MDMA

Affecté par un choc post-traumatiqu­e, un policier retraité est devenu le premier Québécois à faire ce traitement

- FRÉDÉRIQUE GIGUÈRE

Lourdement affecté par un choc post-traumatiqu­e après avoir été au coeur de deux fusillades, un policier retraité est récemment devenu le premier Québécois à participer à une thérapie innovante à la MDMA, un puissant stimulant.

Cette « expérience mystique » lui a finalement permis de ressentir un peu de compassion à son propre égard, dit Bradley Gagnon, 51 ans.

Ce dernier a été policier pendant six ans à Toronto, puis neuf ans à Ottawa. Dans la Ville Reine, il a travaillé au poste de quartier 12, surnommé la « capitale des meurtres », en référence à l’omniprésen­ce de la violence dans ce secteur.

À deux reprises, en 2003 et en 2007, il s’est retrouvé au coeur de fusillades où il aurait bien pu y passer.

Malgré les thérapies, le résident de Gatineau était incapable de mener une vie normale. Il souffrait et vivait énormément d’anxiété lorsqu’il se rendait au boulot.

SURVIVRE À UNE TROISIÈME FUSILLADE

« Je me disais toujours que ça ne se pouvait pas que je survive à une troisième fusillade, que mon temps viendrait bientôt », raconte-t-il.

Il ressentait aussi beaucoup la pression des tabous autour de la santé mentale, ce qu’il explique notamment par une culture de « macho extrême ».

« C’est comme si tu n’as pas le droit d’avoir peur ou d’être nerveux, explique-t-il. La police n’a pas de 911, ça finit avec nous. »

C’est en raison de cette « incertitud­e irrationne­lle » qu’il a demandé un transfert à Ottawa. Mais les démons ne l’ont jamais quitté.

Après plus de 15 ans de thérapie et des consultati­ons avec une douzaine de profession­nels, Bradley Gagnon a trouvé le Dr Houman Farzin sur internet et s’est intéressé à ses travaux sur la MDMA. Cette drogue, normalemen­t illégale au Canada, est généraleme­nt appelée ecstasy dans la rue.

En novembre dernier, au terme d’une très longue période préparatoi­re avec le Dr Farzin, basé à Montréal, et un psychologu­e, le retraité a vécu sa première thérapie sous l’effet de ce stimulant. Une version pure et sécuritair­e préalablem­ent conçue pour lui en laboratoir­e.

« EXPÉRIENCE MYSTIQUE »

« C’est très, très intense, explique le Dr Farzin. On retire toutes les défenses d’une personne, tous les mécanismes de protection tombent. Il faut être très délicat et ce n’est pas une thérapie qui s’adresse à tout le monde. »

À trois reprises, pendant des périodes de huit heures consécutiv­es, Bradley Gagnon s’est plongé dans ce qu’il appelle une « expérience mystique ».

« C’était comme un voyage dans mon être, dit-il, précisant avoir encore de la difficulté à trouver les mots pour décrire le moment hors du commun. J’étais très critique envers moi et je n’avais pas de compassion pour ce que je vivais, mais à ce moment-là, je suis comme devenu ma propre cheerleade­r. J’ai compris tellement de choses. »

Le confort du patient est l’une des priorités des médecins ayant mis sur pied cette expérience. Pour ce faire, ils ont loué un local lumineux et bondé de plantes et ont même préparé une liste de chansons pour accompagne­r Bradley Gagnon pendant son « voyage ».

« En thérapie ordinaire, je n’aurais jamais discuté de ces choses-là, admet M. Gagnon. L’être humain veut toujours se protéger. Avec la MDMA, toutes les barrières tombent. »

Conscient qu’on ne peut jamais réellement guérir d’un choc post-traumatiqu­e, le policier retraité sait maintenant « c’est quoi son problème » et possède désormais les outils pour avancer.

Au cours de la dernière décennie, il n’y a jamais eu autant de personnes qui ont été accusées pour avoir agressé des policiers, indiquent des données recueillie­s par Le Journal.

Le nombre d’accusation­s déposées depuis 2014 pour agression armée ou infliction de lésions corporelle­s sur un agent de la paix a bondi de près de 50 %, selon les statistiqu­es obtenues auprès du Directeur des poursuites criminelle­s et pénales (DPCP).

L’accusation d’avoir désarmé un policier a également connu une hausse importante de près de 70 % depuis une dizaine d’années.

L’infraction au Code criminel la plus fréquente commise contre un policier demeure l’entrave, avec plus de 27 000 dossiers depuis 2014.

« Les policiers ne sont pas soutenus du tout par le public, lance Steve Geoffrion, chercheur au Centre d’étude sur le trauma. Ils vivent énormément de stress et ils craignent pour leur santé physique presque chaque fois qu’ils entrent au travail. »

NEUF POLICIERS TUÉS EN 2 ANS

Quand on pense aux crimes récents commis sur des policiers, le meurtre de la sergente Maureen Breau, survenu en mars 2023 à Louisevill­e, est probableme­nt l’événement le plus marquant. La mère de famille qui était sur le point de devenir enquêtrice a été poignardée par un homme aux prises avec d’importants problèmes de santé mentale.

D’ailleurs, huit autres policiers canadiens sont morts dans l’exercice de leurs fonctions depuis 2022. Ils ont tous été tués par balle, à l’exception d’une autre femme poignardée.

Mais d’autres incidents surviennen­t chaque semaine et mettent en danger la sécurité des policiers.

NOUVELLE TENDANCE

Depuis quelques mois, une nouvelle tendance semble s’installer à Montréal au sein des réseaux de voleurs de voitures. Plusieurs d’entre eux ont tenté de foncer sur des policiers afin d’éviter de se faire intercepte­r.

Pour le psychologu­e de la police de Montréal Louis-francis Fortin, il va de soi qu’un tel climat peut facilement fragiliser la santé psychologi­que des policiers sur le terrain.

« C’est un milieu très exigeant, dit-il. On constate effectivem­ent un niveau de violence plus élevé. »

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 ?? PHOTOS AGENCE QMI, MARC DESROSIERS, ET FOURNIES PAR BRADLEY GAGNON ?? 1. Bradley Gagnon a été policier pendant 15 ans. 2. Bradley Gagnon lorsqu’il était patrouille­ur à Toronto. 3. Bradley Gagnon raconte avoir ressenti un « confort total » lors des trois séances où il a consommé de la MDMA sous la supervisio­n du Dr Farzin et d’un psychologu­e. Sur la photo, M. Gagnon est étendu sur un canapé lors d’une séance à l’automne 2023.
PHOTOS AGENCE QMI, MARC DESROSIERS, ET FOURNIES PAR BRADLEY GAGNON 1. Bradley Gagnon a été policier pendant 15 ans. 2. Bradley Gagnon lorsqu’il était patrouille­ur à Toronto. 3. Bradley Gagnon raconte avoir ressenti un « confort total » lors des trois séances où il a consommé de la MDMA sous la supervisio­n du Dr Farzin et d’un psychologu­e. Sur la photo, M. Gagnon est étendu sur un canapé lors d’une séance à l’automne 2023.
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PHOTOS D’ARCHIVES, JONATHAN TREMBLAY, ET FOURNIE PAR LA SQ Les funéraille­s de la sergente Maureen Breau (en médaillon) se sont tenues le 13 avril 2023.
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