Le Journal de Montreal

Il pleure ses jumeaux de trois jours après un bombardeme­nt

L’appartemen­t qu’il occupait avec sa famille a été réduit à un tas de décombres

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Mohammed Abou al-Qoumssan n’a quitté sa maison que quelques instants, le temps d’aller déclarer ses jumeaux nés trois jours plus tôt à l’état civil de Gaza. Une fois les certificat­s imprimés, il a reçu un appel : « Ta maison a été bombardée ».

« J’avais encore les papiers à la main. Je voulais les montrer à ma femme et on m’a dit “Tu la trouveras dans la chambre froide de la morgue” », raconte ce Gazaoui déplacé dans le sud-ouest de la bande de Gaza, bombardée depuis le 7 octobre par Israël.

« Je voulais lui dire que j’avais bien inscrit les prénoms des enfants, Asser et Ayssel », poursuit-il, incapable de retenir ses larmes devant la petite tente bleue où il a trouvé refuge à al-Mawassi, un réduit côtier de 46 km2 près de Khan Younès, que l’armée israélienn­e a décrété zone humanitair­e.

S’il a échoué ici, c’est parce que l’appartemen­t qu’il occupait avec sa famille au cinquième étage d’un immeuble de Deir al-Balah, plus au nord, a été réduit mardi à un tas de décombres sous l’impact d’une frappe aérienne. L’armée israélienn­e dit ne pas avoir « connaissan­ce de cet incident ».

« Je n’ai pas pu voir les corps », dit l’homme dont les larmes et l’évanouisse­ment à l’hôpital des martyrs d’al-Aqsa ont fait le tour des réseaux sociaux. Son drame a suscité l’indignatio­n partout dans le monde.

COUCHES INTROUVABL­ES

Désormais seul, Mohammed Abou al-Qoumssan garde avec lui le tas de layettes jamais utilisées, achetées avec sa femme au fil de la grossesse.

Du sac qu’il a emporté à la va-vite, le père de famille sort aussi un paquet de couches à moitié plein. « Ces couches, on avait eu du mal à les trouver. Depuis trois mois, on essayait d’en acheter », explique-t-il, alors que tout manque dans la bande de Gaza, où le lait et les couches s’achètent désormais à prix d’or.

Quand il a épousé le 20 juillet 2023 Joumana Arafa, une jeune pharmacien­ne, la bande de Gaza vivait un été chaud et calme. Le blocus israélien se poursuivai­t depuis 17 ans et toute chance de sortir du petit territoire paraissait impossible.

Mais le jeune couple avait un rêve : avoir des enfants. La guerre ne les a pas fait y renoncer.

REMERCIER DIEU

Enceinte, Joumana n’avait pas arrêté pour autant de travailler.

Dans la bande de Gaza ravagée où seuls 16 hôpitaux fonctionne­nt encore partiellem­ent, elle allait tous les jours aider, bénévoleme­nt, à soigner les flux de blessés et les malades désormais privés de médicament­s.

« Jusqu’à son septième mois, elle a aidé dans les hôpitaux. Elle disait qu’elle faisait ça pour remercier Dieu de lui avoir envoyé ses enfants », témoigne le veuf, qui a aussi perdu sa belle-mère dans la frappe de mardi.

En plus de dix mois de guerre, racontet-il, « on a perdu des amis, des proches. On a beaucoup souffert, on a eu très peur et on a beaucoup fui ».

Aujourd’hui, Mohammed Abou al-Qoumssan ne bouge plus. Prostré devant sa tente, il regarde, incrédule, ces certificat­s de naissance qu’il devra un jour se résoudre à faire amender. Pour y ajouter la date du décès de sa fille et son fils.

 ?? PHOTOS AFP ?? Mohammed Abou al-Qoumssan pleure ses jumeaux qui ont été tués lors d’une frappe israélienn­e avec d’autres membres de la famille à Deir al-Balah, dans le centre de Gaza, mardi. En mortaise, les certificat­s de naissance de ses enfants.
PHOTOS AFP Mohammed Abou al-Qoumssan pleure ses jumeaux qui ont été tués lors d’une frappe israélienn­e avec d’autres membres de la famille à Deir al-Balah, dans le centre de Gaza, mardi. En mortaise, les certificat­s de naissance de ses enfants.

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