Frapper un mur pourtant visible droit devant nous
Depuis le lancement grand public de ChatGPT en novembre 2022, il est devenu évident que l’intelligence artificielle allait perturber profondément notre économie. Entre déni, négligence et ignorance, le Québec sera-t-il prêt ? Peu probable.
Dans son livre Boom, Bust & Echo, publié en 1996, l’économiste et démographe David K. Foot décrivait comment le passage de la démographie du moment et la forte disproportion entre le nombre de baby-boomers des générations X et Y allaient façonner l’économie et les préférences de consommation majoritaires de la société canadienne.
L’analyse démographique proposée par Foot permettait de prédire la pénurie de main-d’oeuvre, la crise du système de santé, la perte de contrôle de la fiscalité et la transition vers une économie de services.
S’il était impossible de prédire l’arrivée de technologies spécifiques, les prédictions de Foot concernant la productivité et l’automatisation sont toujours valables aujourd’hui. Nous avons eu 30 ans pour nous préparer à ces tendances, et pourtant, on semble aujourd’hui se surprendre de ces phénomènes.
FAIRE L’AUTRUCHE ET ESPÉRER
À mesure que l’impact du babyboom s’estompera au cours des 10 prochaines années, des transformations encore plus importantes guettent l’économie québécoise avec l’avènement de l’intelligence artificielle.
Selon l’Organistion de coopération et de développement économique (OCDE), environ 16 % de tous les emplois dans les pays occidentaux devraient disparaître au cours des prochaines années.
Au Québec, ce sont 725 000 emplois qui sont à risque.
À la blague, on dit parfois qu’il suffit de transformer des ouvriers de production en neurochirurgiens; les caissières d’épicerie en infirmières. Ce n’est, évidemment, pas si simple.
Face à l’ampleur du défi, plusieurs se mettent la tête dans le sable.
COÛTEUX GASPILLAGE
Nous continuons à former en masse des gens pour des métiers qui n’existeront probablement plus d’ici 5 ans. C’est non seulement un gaspillage, cela présage des coûts additionnels pour l’État, ainsi que d’innombrables drames humains qui pourraient être évités.
Si on suit la méthode de David K. Foot, on peut aussi anticiper que l’intelligence artificielle mettra profondément à mal les conventions collectives qui régissent les relations de travail.
On sait pourtant avec un niveau croissant de certitude que l’intelligence artificielle obligera les entreprises, les syndicats et les travailleurs à penser rapidement la redéfinition des postes de travail, la formation et la requalification des travailleurs, les conditions de travail et la santé-sécurité, la rémunération et les avantages, ainsi que la sécurité relative d’emploi face à ces perturbations.
Combien de conventions collectives, signées en 2022, 2023, 2024, contiennent des clauses concernant l’intelligence artificielle ? Pratiquement aucune.
D’OÙ VIENDRA L’ARGENT ?
Certains techno-optimistes nous disent que dans l’avenir, nous aurons à moins travailler. Un seul travailleur pourra superviser la machine qui fera le travail de dix salariés. Ces dix salariés, comment gagneront-ils leur vie ? Nul ne le sait.
Si on compte sur l’État pour ce faire, il faut rappeler qu’au moment d’écrire ces lignes, le travail des robots n’est pas sujet à l’impôt sur le revenu. Rater le bateau, pour le Québec, c’est s’en remettre à des sociétés étrangères qui fourniront les machines, qui remplaceront 10 ouvriers par un ingénieur, et rapatrieront chez eux les revenus et les profits.
Que restera-t-il pour l’État québécois ?
Poser la question, c’est y répondre.
Combien de conventions collectives, signées en 2022, 2023, 2024, au Québec contiennent des clauses concernant l’intelligence artificielle ? Pratiquement aucune.