Le Journal de Montreal

Le Québec forme-t-il des peureux ?

- jean-nicolas.blanchet@quebecorme­dia.com *Étude de l’Hôpital pour enfants de l’Université de Calgary.

Le Québec s’y prend-il de la bonne façon pour former ses enfants ? Devrait-on mieux s’inspirer de ce qui se fait ailleurs ?

Au Québec, au hockey junior, on ne peut pas se battre, contrairem­ent à partout en Amérique du Nord. On se fait traiter de pussies.

Au Québec, la mise en échec est interdite chez les jeunes hockeyeurs. Ç’a pris 27 ans avant que le reste de l’Amérique du Nord fasse la même chose. Le reste du Canada nous trouvait épais quand on était les seuls à penser comme ça.

Au Québec, les combats d’arts martiaux mixtes sont illégaux. Aux ÉtatsUnis, certains États les permettent, même pour des enfants. Le film Kung Fu Panda 4 commandita­it le combat principal d’un des derniers galas de l’UFC. On se fait taxer de démoniser ce sport.

Au Québec, les enfants jouent au flag football. Aux États-Unis, les parents vantent sur les réseaux sociaux les plaqués du quart de leur enfant de sept ans.

Au Québec (et dans le reste du Canada), tu peux boxer à partir de six ans. Mais ça s’appelle « Funbox ». Les coups à la tête sont interdits et les enfants doivent avoir de l’équipement spécial. Aux États-Unis et ailleurs dans le monde, des États permettent aux enfants de se taper sur la tête et sur la gueule dans des combats de boxe.

SE BATTRE À 4 ANS

Un sport qui gagne en popularité aux États-Unis, c’est l’Abu Dhabi Combat Club (ADCC). C’est de la lutte qui met en valeur les techniques de soumission sans coups directs à la tête. Il y a une catégorie quatre à 12 ans. Et ça marche fort chez les jeunes enfants. Les réseaux sociaux pullulent d’exploits des enfants. Les règles ne semblent pas claires pour l’encadremen­t de ce nouveau sport ici. Le circuit est débarqué à Montréal en avril et des combattant­s avaient sept ans.

Vous pouvez le voir dans cette vidéo. Une fillette étrangle un jeune garçon qui finit par changer de couleur avant de fondre en larmes.

J’ai présenté une vidéo de ce type de combat au chercheur Louis De Beaumont de l’Université de Montréal. Ce neuropsych­ologue est un spécialist­e des commotions cérébrales. Il arrivait mal à contenir son indignatio­n quand il a consulté la vidéo.

« Ça fait juste aucun sens ! lance-t-il. Honnêtemen­t, au plan du développem­ent pour un enfant, il n’y a rien de pire. Tu ne peux pas aller plus bas que ça. »

Mais ce n’est pas important d’initier les enfants à l’autodéfens­e ?

DISNEY AU LIEU DE LA SOUMISSION

« Franchemen­t ! Ce n’est pas de l’autodéfens­e de se rouler à terre, réplique le Dr De Beaumont. Quand est-ce que tu vas pouvoir prendre quelqu’un, lui faire une soumission et le rouler à terre ? »

À son avis, ce n’est pas le bon âge pour apprendre l’autodéfens­e. « Ça doit venir plus tard. À cet âge-là, c’est le temps d’avoir la vie d’un enfant qui aime Disney, qui développe son imaginatio­n et qui pense que le monde est rempli de licornes. Pas besoin d’apprendre tout de suite les épreuves de la vie. Ils n’ont pas la maturité pour ça », poursuit-il.

« Ce que je n’aime pas, aussi, c’est que ça amène des enfants très, très jeunes à penser que c’est normal de se battre [...] Et je n’aime pas non plus le mot “soumission”. C’est toute la relation avec l’objectif de soumettre une autre personne. Je ne suis pas capable », affirme le neuropsych­ologue.

« À cet âge-là, ils ne feront pas la distinctio­n qu’un adulte fera. Le processus psychologi­que là-dedans n’a pas été réfléchi. On devrait s’assurer que les enfants investisse­nt leur temps dans des sports un peu plus constructi­fs que ceux de soumettre un autre individu à nous-même », ajoute celui qui croit que même si les coups directs à la tête sont interdits, il apparaît évident que les coups indirects y sont inévitable­s.

LES RISQUES POUR LE CERVEAU

D’ailleurs, il estime que les risques pour le cerveau sont immenses.

« Vers quatre et cinq ans, c’est une phase critique du développem­ent. Tu peux apprendre quelque 1000 mots par semaine, c’est fulgurant. Si cette période est ponctuée de coups à la tête, les séquelles seront plus grandes que chez les adultes, car les enfants sont dans des périodes développem­entales extrêmemen­t importante­s. »

Dr Dave Ellemberg est un autre des plus grands spécialist­es au Québec en commotions cérébrales. Comme son collègue, la vidéo l’a préoccupé.

« Je ne suis pas à l’aise [...] Même si les coups à la tête sont interdits, on voit que les enfants sont renversés. La tête peut frapper contre le sol. »

« Je ne suis pas contre le karaté et le judo, mais dans un contexte où c’est contrôlé et où on fait attention pour éviter des coups indirects à la tête. Les fédération­s, ici, au Québec, sont très sensibilis­ées à la question. »

Par leurs découverte­s, Louis De Beaumont et Dave Ellemberg sont deux des plus grands chercheurs au pays qui se consacrent à l’étude du cerveau.

Visiblemen­t, ils ne trouvent pas que le Québec est en train de former des peureux quand ils regardent ce type de vidéos. Au contraire, ils saluent l’encadremen­t de la pratique du sport chez les jeunes au Québec.

Soit on peut les écouter, soit on peut écouter notre « mononcle » qui trouve qu’on est rendu dans une société de peureux et ne regarde plus de hockey junior parce que ça ne se bat plus.

En passant, des mises en échec au niveau pee-wee, c’est quatre fois plus de commotions cérébrales*.

Bref, je pense que c’est pas mal mieux de se faire accuser de former des peureux que de développer des enfants qui sauront se casser la gueule plus jeune tout en risquant d’avoir le cerveau d’un enfant toute leur vie.

BIEN DIFFÉRENT ICI

Même si les combats d’arts martiaux mixtes sont illégaux au Québec, rien n’empêche des centres d’entraîneme­nt d’offrir des cours sans combats. C’est le cas du Nordik Fight club, à Québec, qui offre des cours pour des enfants de sept à 12 ans.

« C’est vraiment populaire ! », m’a expliqué Yohan Bérubé, fondateur de ce centre et responsabl­e des cours pour enfants.

Mais on est à des années-lumière ce qu’on peut voir ailleurs avec de véritables compétitio­ns et championna­ts d’arts martiaux mixtes pour jeunes enfants. En fait, les cours donnés ressemblen­t à des cours de taekwondo ou les enfants frappent dans des coussins. Il n’y a pas de soumission ou de simulation­s. C’est plutôt des jeux et de la mise en forme pour les plus jeunes enfants, m’a expliqué M. Bérubé.

Concernant les combats impliquant les jeunes enfants, il est du même avis que les deux neuropsych­ologues.

« Ç’a aucun bon sens ! Ça dépend, des fois, on ne connaît pas les règlements. Il peut y avoir des cours pour les enfants, mais il n’y a pas de coups à la tête et c’est encadré et il n’y a pas de danger [...] Mais c’est clair que je ne suis pas d’accord avec ça, que des enfants se frappent sur la tête à sept ans, à 12 ans ».

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PHOTO GRACE CHEN PHOTOGRAPH­Y En mai dernier avait lieu, en Arizona, le championna­t de lutte par soumission ADCC où les jeunes enfants étaient autorisés à participer. Les combattant­s sur cette photo ont cinq ans.
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