Legault devrait utiliser les bâtons de Barrette
Quand une négociation s’entame avec les médecins de famille, François Legault a le réflexe de montrer les muscles.
Lundi, en entrevue avec Paul Larocque, il n’a pas dérogé à cette habitude : « Ça va être dur, mais il faut avoir le courage. Je vais aller jusqu’au bout. »
Mais quel est ce « bout » exactement, se demandait l’ancien ministre Gaétan Barrette, à La joute à LCN, l’autre jour ? Excellente question !
BÂTONS
Voici un « bout » qui est, selon mes sources, sérieusement envisagé par le gouvernement : Barrette, en 2014, avait tenu à inscrire dans sa loi 20 certaines dispositions afin que le gouvernement ait un rapport de force face aux médecins.
Appelons-le des « bâtons », par opposition à toutes ces « carottes » que l’État finit invariablement par accorder à nos médecins, telles ces « primes » (dont la « jaquette » !) exposées par notre Bureau d’enquête en 2017 (plusieurs ont été abolies… ou renommées depuis).
Quant aux bâtons, ils n’ont jamais été utilisés. Le premier ministre Couillard et son secrétaire général Roberto Iglesias avaient préféré freiner leur bouillant ministre : « On a plus à craindre des médecins en colère que de la population en colère » est une phrase (scandaleuse !) qui aurait été prononcée à l’époque.
SIMPLICITÉ
Décrivons les bâtons. Puisque la loi 20 est déjà votée et sanctionnée, il ne resterait au Conseil des ministres qu’à adopter un règlement (s’appliquant après 45 jours de consultations) où il chiffrerait les objectifs de productivité pour les médecins, sous peine de pénalités. À l’article 6 de la loi 20, le gouvernement a entre autres le droit de déterminer un « nombre minimal de patients » dont chaque médecin doit « assurer le suivi médical ». Ainsi qu’un « nombre minimal » d’heures d’activité médicale à exercer.
Ce serait jouissif que le gouvernement les utilise enfin, ces bâtons. Les omnipraticiens coûtent grosso modo 3,2 G$ de rémunération par année ! Or, le citoyen québécois peine à obtenir un rendez-vous avec eux. Ce n’est pas normal.
Les anciennes méthodes ne fonctionnent manifestement pas. Les médecins risquent la surdose de carottes. On doit se rendre à l’évidence : sans paramètres précis, peu importe le mode de rémunération (à l’acte, forfaitaire, capitation, salariat), le public québécois n’en a pas pour son argent.
GUERRE
Dans les officines gouvernementales, des sources m’expliquent que si le gouvernement décidait d’utiliser les « bâtons de Barrette », ce serait la guerre.
Les médecins s’engageraient dans une bataille judiciaire « nucléaire » où tout le monde finirait perdant. De plus, le gouvernement Couillard a déjà écrit noir sur blanc, dans une entente, qu’il promettait de ne jamais mettre en oeuvre aucun des bâtons inclus dans sa loi 20. Selon certains juristes, ce précédent neutraliserait les bâtons pour toujours…
Malgré tout, ces bâtons s’apparentent à une sorte de loi spéciale. Le gouvernement aurait bien tort de ne pas brandir ces armes. L’incertitude ? François Legault gardera-t-il le cap sur ce « bout », lui qui, on l’a vu encore la semaine dernière, semble faire preuve, dans sa gouverne, d’une « constante inconstance » (selon la formule de Josée Legault) ? Et en l’absence de bâton, pourrons-nous, au moins, obtenir, de la part des médecins, des livrables mesurables ?