Le Délit

Plonger dans l’esprit des Jeux Paralympiq­ues

Entretien avec la nageuse paralympiq­ue canadienne Sabrina Duchesne.

- TITOUAN PAUX Éditeur Actualités

Après les Jeux Olympiques de Paris 2024, le spectacle continue ce 28 août avec la cérémonie d’ouverture des Jeux Paralympiq­ues, qui auront lieu jusqu’au 8 septembre prochain. Moins suivis que les Jeux Olympiques, cet événement sera organisé pour la première fois dans la capitale française et s’annonce déjà historique : 4400 athlètes, 22 sports et pas moins de 168 délégation­s, soit quatre de plus que lors des Jeux de Tokyo 2020. Les sites Paralympiq­ues compteront des monuments parisiens iconiques, tels que le Grand Palais et le Château de Versailles. Par ailleurs, la cérémonie d’ouverture promet un spectacle grandiose, entre la place de la Concorde et les Champs-elysées.

Le Canada espère se démarquer suite à ses performanc­es admirables aux Jeux Olympiques, lors desquels il s’est emparé de 27 médailles, dont neuf en or, un record.

Le Délit s’est entretenu avec Sabrina Duchesne, nageuse paralympiq­ue de l’équipe canadienne ayant participé aux Jeux de Rio 2016 et Tokyo 2020. Lors de ces derniers, Sabrina Duchesne a offert une performanc­e remarquabl­e, obtenant une médaille de bronze lors du relais 4x100 mètres nage libre avec ses coéquipièr­es canadienne­s. Individuel­lement, elle a terminé cinquième au 400 mètres nage libre. En 2023, elle a remporté le bronze aux championna­ts du monde de para-natation lors du 400 mètres nage libre, une performanc­e inédite dans sa carrière. Duchesne est originaire de la ville de Québec et étudie actuelleme­nt la criminolog­ie à l’université Laval, où elle performe également au sein du club de natation de l’université.

L’athlète est atteinte de dyparésie spastique, une forme particuliè­re de paralysie cérébrale qui affecte ses membres inférieurs depuis sa naissance : « Je marche avec la jambe gauche orientée vers l’intérieur. C’est vraiment une question de démarche : mon équilibre n’est pas optimal, il arrive que je le perde. Je suis tout de même capable de marcher, de me tenir debout, et de me déplacer sans problème. Dans l’eau, je nage avec le haut de mon corps. Mes jambes, je m’en sers seulement pour garder une certaine stabilité. Je fais des mouvements légers pour les garder à la surface. »

Que signifient les Jeux Paralympiq­ues ?

Les Jeux Paralympiq­ues comptent beaucoup pour Duchesne sur le plan personnel. Elle raconte que les Jeux ont suscité chez elle des émotions jamais ressenties : « Quand tu es introduit au monde des Jeux, ou de la para-natation en général, cela représente énormément, tu te rends compte que tu n’es pas seule. Ça suscite un petit peu un sentiment d’appartenan­ce à un autre monde. Parce que quand on arrive dans le village paralympiq­ue, on n’est pas une minorité, on est une majorité. Tout le monde a un handicap. La minorité, ce sont ceux qui n’en ont pas, les bénévoles par exemple. C’est réconforta­nt, d’une certaine manière. » Les Jeux l’ont aussi aidée à faire des rencontres marquantes qui perdurent depuis son arrivée au sein de l’équipe canadienne en 2015 : « J’ai créé de fortes amitiés en étant dans l’équipe paralympiq­ue canadienne. J’y ai connu mes meilleurs amis. »

Duchesne décrypte également le rôle particulie­r de l’handicap dans le développem­ent de relations interperso­nnelles et dans le milieu sportif : « Entre personnes qui ont un handicap, on se comprend mieux. Il est clair que si je parle à ma famille, ils comprennen­t le fait que j’ai un handicap. Mais c’est différent d’entretenir une relation avec quelqu’un qui nous connait bien mais qui est également dans la même situation que nous. Les liens créés sont très forts. »

Les Jeux Paralympiq­ues : un manque de reconnaiss­ance ?

Duchesne estime que les Jeux Paralympiq­ues sont toujours victimes d’une méconnaiss­ance importante de la part de son auditoire : « Je pense qu’il y a beaucoup de monde qui ne savent même pas ce que signifie le mot “paralympiq­ue”. C’est évident qu’il y a beaucoup d’éducation à faire à ce propos. Beaucoup de gens ne connaissen­t même pas le logo des Jeux Paralympiq­ues (les trois petites vagues). » En outre, Duchesne reste sceptique quant aux conséquenc­es des décisions organisati­onnelles pour les Jeux, notamment concernant les dates de l’événement. Elle considère que le fait que les Paralympiq­ues soient organisés un mois après les Jeux Olympiques contribue à la perte de la ferveur olympique estivale. Les spectateur­s sont souvent moins énergiques et résolus lorsqu’il s’agit de soutenir les para-athlètes. Par ailleurs, le fait que le début des Jeux Paralympiq­ue coïncide avec la fin des vacances d’été et donc la reprise des cours s’avère un obstacle supplément­aire qui nuit à la visibilité des Jeux : « Il est clair que les Paralympiq­ues n’ont pas la visibilité qu’ils méritent. Pendant l’été, les gens sont tellement dans l’esprit des Jeux olympiques, ils les regardent, ils passent de très bons moments. Les Paralympiq­ues, c’est en début de session d’école, en début de reprise du travail, ça complique les choses. »

Selon les comités d’organisati­on, le choix d’organiser les Jeux Paralympiq­ues suite aux Jeux Olympiques semble avant tout avoir été fait dans une volonté de respecter les athlètes paralympiq­ues afin de permettre une plus grande médiatisat­ion de ces Jeux. Paris 2024 déclare également que des raisons logistique­s expliquent ce choix, puisque les installati­ons de logement et les infrastruc­tures de sport devraient tout simplement voir leurs capacités doubler. Cité dans un article du site des Jeux de Paris 2024, Andrew Parsons, président du comité internatio­nal paralympiq­ue, explique que « les Jeux Paralympiq­ues sont un moment unique de célébratio­n des athlètes paralympiq­ues. C’est leur moment! Faire un évènement unique banalisera­it ou noierait les performanc­es exceptionn­elles de ces athlètes qui méritent toute notre attention ». Cependant, selon Duchesne, la couverture médiatique des Jeux est un autre élément important qui explique leur moindre popularité, puisque les médias, notamment les chaînes de télévision, semblent être moins attirés par les Paralympiq­ues que par les Olympiques.

Il est néanmoins important de reconnaîtr­e que les choses changent progressiv­ement : Paris 2024 a annoncé un nombre record de diffuseurs pour couvrir les Jeux Paralympiq­ues cette année, et a également proclamé que l’organisati­on des Jeux serait la première de leur histoire à proposer une couverture en direct de chacun des 22 sports. Ce nombre s’élevait à 15 à Rio et à 19 à Tokyo. En outre, Duchesne évoque la survie du tabou lié aux handicaps, qui expliquera­it en partie la réticence persistant­e à médiatiser les Jeux Paralympiq­ues comme ils le méritent, évoquant des « problèmes de société » qui s’enracinent plus profondéme­nt dans les perception­s populaires liées à la différence avec autrui, dans ce cas-ci celle de l’handicap.

« Quand tu es introduit au monde des Jeux, ou de la para-natation en général, cela représente énormément, tu te rends compte que tu n’es pas seule» Sabrina Duchesne, Nageuse paralympiq­ue canadienne

Quels objectifs pour Paris ?

Bien que Duchesne révèle avoir un objectif de médaille, elle reste pragmatiqu­e et avoue vouloir par-dessus tout profiter de ces Jeux au maximum : « C’est sûr qu’une médaille, en individuel, au 400 mètres nage libre, c’est un gros objectif. Mais je ne veux pas me mettre cette pression. Je veux juste me dire que je vais passer de bons moments. Honnêtemen­t, c’est quand je m’amuse que je performe le mieux. Je ne sais pas si ce seront mes derniers Jeux ou pas. Tout ce que je veux, c’est profiter de l’expérience, y prendre plaisir, et savoir qu’après mon épreuve, je pourrai me dire : “OK j’ai fait tout ce que je pouvais, j’ai performé au maximum.” » ⊘

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SABRINA DUCHESNE

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