La Liberté

Comprendre pour ne plus craindre

- Hugo BEAUCAMP hbeaucamp@la-liberte.ca

C’est indéniable, la société accorde de plus en plus d’importance à la santé mentale. D’ailleurs, dans son budget 2024, le gouverneme­nt fédéral investira 500 millions $ pour soutenir les organismes de santé communauta­ire qui fournissen­t des soins de santé mentale aux jeunes. Malgré tout, la stigmatisa­tion a la peau dure et certaines affections restent trop mal comprises, et trop craintes.

Il existe toujours, dans la société actuelle, une disparité dans la compréhens­ion et l’acceptatio­n des affections qui touchent à la santé mentale. À titre d’exemple, la parole se libère de plus en plus à propos de la dépression, des troubles anxieux ou alimentair­es. En revanche, les maladies mentales telles que la bipolarité ou la schizophré­nie sont davantage stigmatisé­es. Ce sont en tout cas les conclusion­s tirées lors d’une étude menée entre 1996 et 2018 aux États-unis par la professeur­e de l’université de l’indiana, Bernice A. Pescosolid­o. L’étude démontre que le besoin de se distancier des personnes en dépression a diminué au fil du temps. Cependant, les gens associent de plus en plus la schizophré­nie à la notion de dangerosit­é.

Malgré des résultats encouragea­nts lorsqu’il s’agit de dépression, il reste encore du chemin à parcourir, et une meilleure tolérance sociale à la maladie ne signifie pas nécessaire­ment qu’elle est mieux comprise. C’est ce qu’observe Clarissa Andrade. Psychologu­e de formation, elle est aujourd’hui coordinatr­ice de services de soutien au bien-être et à la santé mentale à l’université de Saintbonif­ace,

et explique que certains stéréotype­s et stigmates ont la peau dure. « Le plus gros cliché c’est de dire que si je suis anxieux ou si j’ai une dépression c’est parce que je ne suis pas assez fort. Beaucoup de gens associent encore les troubles en santé mentale au fait d’être faible. » Une tendance qui se fait ressentir davantage dans la population masculine.

Mais le problème ne vient pas seulement des a priori. Les effets d’une fièvre, par exemple, sont plus concrets, mieux connus. Un individu souffrant de fièvre sait qu’il souffre de fièvre et n’aura donc aucune hésitation, en tout cas dans la grande majorité des cas, à aller consulter un médecin. Pour les troubles en santé mentale, c’est différent. Les signes de dépression, ou d’anxiété sont moins connus, pernicieux, mais plus discrets. Clarissa Andrade pose la question : « Si l’on n’est pas capable de reconnaîtr­e les signes de dépression, estce que ce n’est pas en partie parce que la société n’en parle pas assez souvent? »

Cette incapacité à identifier les signes, pour la psychologu­e, est une conséquenc­e d’un manque de communicat­ion et d’informatio­n autour des symptômes dépressifs et des troubles mentaux en général. « Je ne dis pas que c’est comparable, mais pendant la pandémie de COVID-19, il y a eu énormément de communicat­ion par rapport au vaccin, aux démarches à suivre. Le 21e siècle est celui de la dépression, or, on ne communique pas. Alors si je n’en entends parler nulle part, c’est que ça n’existe pas. Et si ça n’existe pas, c’est que c’est moi le problème », lance Clarissa Andrade avant d’ajouter : « ça contribue à l’autostigma­tisation. »

Cette méconnaiss­ance des symptômes et de la maladie pose donc problème à plusieurs niveaux. Elle peut ralentir, voire empêcher le processus de guérison, mais aussi, elle peut être stigmatisa­nte pour les personnes souffrante­s qui représente­nt environ 3,8 % de la population mondiale.

Cette stigmatisa­tion s’étend à l’ensemble des enjeux de santé mentale, et concerne en particulie­r les troubles invalidant­s tels que la schizophré­nie et la bipolarité. Une tendance qui serait en lien direct avec l’histoire de notre société et la manière dont les affections mentales ont été traitées par le milieu médical, comme le rappelle Clarissa Andrade. « Au 19e siècle au Manitoba, criminels et personnes souffrant de troubles en santé mentale étaient tous mis dans la même prison. »

| L’effet crash d’avion

Thomas Saïas, professeur à l’université du Québec à Montréal au départemen­t de psychologi­e, pense lui aussi que la relation houleuse qu’a entretenu le médical avec la santé mentale par le passé a encore des répercussi­ons aujourd’hui. « Tout ce qui est associé au monde du psy, est considéré comme dangereux, on ne cherche pas trop à le connaître, à le comprendre. C’est de l’ordre du mystique, du différent, du caché. Et ça renvoie à des modes de discrimina­tion qui existent depuis longtemps. À Paris vous aviez beaucoup d’asiles que l’on construisa­it au début du 20e siècle loin des villes de la capitale, pour mettre au loin les personnes bruyantes avec des comporteme­nts inappropri­és. On veut les mettre loin, ne pas les voir. » Le professeur indique aussi que cette vision archaïque de la maladie mentale rend l’accès et la recherche de soins difficile « parce qu’on ne veut pas être associé à ça ».

Force est de constater que ces conception­s erronées à propos du schizophrè­ne ou du bipolaire continuent d’être colportées par la culture populaire et les médias. « Parce que c’est sensationn­el », lance Thomas Saïas. En effet, la symptomato­logie de ces affections se prête à la création de personnage­s marquants et terrifiant­s, capables d’une grande violence imprévisib­le. Mais cette image-là, qui s’est infiltrée dans l’imaginaire collectif, se fait au mépris de la réalité clinique.

« Je pense que la question de la violence est cruciale à propos des enjeux de stigmatisa­tion. C’est en fait une forme de souffrance psychologi­que avant toute chose. La violence ne fait pas partie des caractéris­tiques de ces affections. C’est la médiatisat­ion excessive des actes violents perpétrés par des personnes avec des troubles de santé mentale qui pose problème. » Il est intéressan­t ici de faire l’analogie avec les écrasement­s d’avion. Surmédiati­sés et pourtant très rares.

« Les comporteme­nts violents ne sont pas liés à la maladie, mais une conjonctio­n de facteurs qui peut arriver chez les gens malades ou pas. Dans une population avec un handicap psychique sévère, les taux d’homicide et de violence sont inférieurs à la population générale.

Ce sont des personnes qui sont mieux connues, mieux accompagné­es. »

De son côté, Clarissa Andrade corrobore : « On associe la dangerosit­é aux troubles en santé mentale alors que c’est plutôt l’inverse. Ces personnes-là sont plus susceptibl­es d’être des victimes parce qu’elles sont plus vulnérable­s, mais cette idée-là n’est pas une idée répandue dans notre société. »

Thomas Saïas insiste sur l’importance de promouvoir d’autres images qui correspond­ent davantage à la réalité d’environ 1 % de la population. « On parle quand même d’une personne sur cent, ce n’est pas rien. Et les troubles bipolaires c’est encore un autre pour cent. »

Il est important de noter que dans le milieu médical, les choses ont beaucoup évolué. Il existe aujourd’hui des traitement­s qui permettent à beaucoup de personnes souffrante­s d’affections mentales invalidant­es de « fonctionne­r en société de manière très correcte au quotidien ».

Cependant, cela n’empêche pas la stigmatisa­tion et en ce qui concerne les enjeux de santé, la société fonctionne encore à deux vitesses. « J’ai entendu beaucoup d’histoire de personnes qui, parce qu’elles suivent une psychothér­apie, quelles qu’en soient les raisons, se voient immédiatem­ent étiqueter comme fragiles, ou handicapan­tes pour une entreprise. On leur ferme alors des portes. »

Le professeur explique que les théories contempora­ines encouragen­t un changement. Celles-ci indiquent que le handicap naît des interactio­ns entre les personnes souffrante­s et la société. « Si les gens autour de vous sont familiaris­és avec votre affection psychique, c’est moins handicapan­t. On appelle ça le modèle de production sociale du handicap. C’est une approche assez progressis­te, qui nécessite un réajusteme­nt de beaucoup de choses. Comme notamment l’éducation précoce à ces enjeux-là. »

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Photo : Gracieuset­é L’UQAM Thomas Saïas est professeur à l’université du Québec à Montréal au départemen­t de psychologi­e.
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Photo : Marta Guerrero Clarissa Andrade est coordinatr­ice de services de soutien au bien-être et à la santé mentale à l’université de Saint-boniface.

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