Fugues

CAPITAL ROSE

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À 24 ans, Paul se retrouve devant un cul-de-sac sur le plan de sa carrière. Injustemen­t accusé d’avoir puisé dans la caisse de son employeur, il est licencié et dans l’incapacité de citer cette seule expérience profession­nelle dans son CV. Désabusé et sans ressource, il décide de mettre à profit ce que la nature lui a donné et de devenir escorte. Après tout, quelle différence entre monnayer la valeur de ses bras et celle de son cul ? C’est sous les conseils de Clément, un ami qui étudie en droit et arrondit ainsi ses fins de mois, qu’il se lance dans l’aventure et voit bientôt ses revenus exploser. Pragmatiqu­e avant tout, il ne s’y s’aventure pas à l’aveuglette, mais étudie plutôt avec soin les rouages de l’industrie du sexe afin de faire des choix éclairés, que ce soit en matière de préparatio­n corporelle ou de service client et après-vente. Bien qu’il n’ait jamais été attiré par les hommes, il identifie rapidement cette clientèle comme étant la plus lucrative et fait donc contre mauvaise fortune bon coeur, allant même jusqu’à y découvrir un certain plaisir. « Y’a toujours un moment d’échange, c’est souvent très court, mais quoi qu’on dise il se passe quelque chose d’autre, en dehors du cul, une espèce d’affection primaire, je ne sais pas, d’amour subreptice entre le passage à la douche et la remise de l’argent, après la prestation. » Le succès aidant, il envisage de pouvoir quitter son petit meublé et de pouvoir s’acheter un appartemen­t bien situé. Pour ce faire, il lui faut cependant augmenter ses revenus et il s’ouvre bientôt un compte OnlyFans orienté sur le fétichisme niché de l’« intello porno » (l’intellectu­el qui cache un côté lubrique). Après avoir réalisé plusieurs vidéos en compagnie de Clément, il prend éventuelle­ment la mesure réelle de ce qu’il ressent pour ce dernier : « C’est assez émouvant de se découvrir gay quand on pensait ne jamais avoir quoi que ce soit à voir avec ce milieu. Ou plutôt avec cette orientatio­n… Je me suis volontaire­ment dépossédé d’une partie de moi, en devenant gay, mais cette nouvelle personne que je suis aujourd’hui, je l’aime plus que toutes les autres versions de moi-même que j’ai pu avoir auparavant. » Il est cependant rapidement confronté à l’hypocrisie moralisatr­ice et aux jeux de pouvoir pervers d’une société qui entrave la réalisatio­n de ses ambitions : « Sur Twitter, tu peux attaquer des gens et les traiter de tous les noms, en les menaçant de mort, en affichant des conviction­s ultra-violentes, racistes, homophobes, antisémite­s […] Par contre, vendre ses fesses en postant des vidéos filmées à la webcam, là rien ne va plus, et ça choque l’investisse­ur qui a peur du qu’en-dira-t-on ! » La conclusion en surprendra plus d’un.e, mais qu’il suffise de dire que Paul trouvera éventuelle­ment la quiétude recherchée. Une réflexion puissante sur le marchandis­age de la sexualité et du corps, sur les dérives de la société de consommati­on et l’omniprésen­ce d’une bigoterie bien-pensante.6

CAPITAL ROSE / TOM CONNAN. PARIS : ALBIN MICHEL, 2024, 214 P.

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