La puberté précoce
PARENTS INQUIETS, ENFANTS ÉBRANLÉS. LORSQU’ELLE ARRIVE DE FAÇON PRÉCOCE, LA PUBERTÉ PEUT ÊTRE VÉCUE DIFFICILEMENT PAR LES FAMILLES, PLONGÉES HÂTIVEMENT DANS LES CHANGEMENTS HORMONAUX. COMMENT RÉAGIR ET QUOI FAIRE POUR BIEN ACCOMPAGNER SON ENFANT?
Tout le monde me disait: “Ta fille a l’air d’avoir 14-15 ans”... mais elle venait d’en avoir 10!» Au bout du fil, Émilie Sirois, maman de Zoé, raconte comment sa fille a vécu sa puberté précoce. Elle n’avait pas encore sept ans lorsque sa mère a remarqué le renflement sous le tissu de son chandail. «C’est ma deuxième fille, confie cette Montréalaise de 42 ans. Sans en faire un drame, je me disais: “il me semble que c’est un peu tôt...”»
«Nous avons vu notre médecin de famille, puis nous avons été dirigés vers un endocrinologue et là, le diagnostic est tombé: tout indiquait que ma fille commençait sa puberté!» raconte-t-elle. Elle avoue qu’à ce moment-là, elle a tenté de cacher son désarroi, du mieux qu’elle l’a pu; sa fille, elle, semblait plutôt indifférente… «La puberté est un passage normal, explique la psychologue Marianne Bélanger. La manière dont on va réagir, comme parents, peut générer de l’inquiétude chez l’enfant ou, au contraire, le rassurer. Je crois qu’il faut faire attention à ne pas rendre la puberté anormale parce qu’elle arrive plus tôt. Ce n’est pas une maladie!»
À quel moment est-il normal que la puberté survienne? «Chez les filles, c’est entre 7 et 13 ans, et chez les garçons, entre 9 et 14 ans», explique Dre Preetha Krishnamoorthy, endocrinologue pédiatrique à l’Hôpital de Montréal pour enfants. Elle note qu’il y a, chez les fillettes, une zone grise entre sept et huit ans: c’est considéré comme une «variante de la normale». Autrement dit: à cet âge, la puberté peut être considérée comme précoce.
Parmi les signes de puberté à surveiller, le développement des seins chez les filles et l’augmentation du pénis et des testicules chez les garçons. «Chez les filles et les garçons, l’apparition de poils sous les bras ou de poils pubiens, l’accélération de la croissance et les odeurs corporelles sont des signes à surveiller», déclare Dre Mélanie Henderson, pédiatre endocrinologue et chercheure au Centre hospitalier Sainte-Justine. À noter que les menstruations surviennent lorsque la puberté est bel et bien déclenchée, soit «vers 12 ans, 12 ans et demi», indique Dre Krishnamoorthy.
Plus précoce qu’avant?
Aucune des deux expertes en endocrinologie ne peut affirmer qu’il y a une augmentation du nombre de cas de puberté précoce, contrairement à ce qu’on peut croire. «Il n’y a aucune étude récente à ce sujet, ni au Québec ni au Canada, qui ferait état d’une augmentation des cas de puberté précoce», commente Dre Preetha Krishnamoorthy. Dre Henderson nuance, en ajoutant que «ce qui est clair, c’est que la puberté a lieu plus tôt qu’il y a 100 ou 200 ans étant donné l’amélioration des conditions sociosanitaires, tout particulièrement une meilleure alimentation».
Une étude menée par Santé publique France en 2017 démontre que les cas de puberté précoce sont rares, soit 0,24 cas pour 10 000 garçons et 2,68 cas pour 10 000 filles, mais qu’ils sont 11 fois plus fréquents chez les filles.
LA PUBERTÉ PRÉCOCE EST 11 FOIS PLUS FRÉQUENTE CHEZ LES FILLES QUE CHEZ LES GARÇONS.
Si certains produits chimiques semblent être pointés du doigt lorsqu’il est question de puberté précoce, les deux spécialistes invitent à la prudence. Même s’il y a eu plusieurs études sur le sujet ces dernières années, il n’y a aucune preuve claire que les pesticides, certaines composantes du plastique (comme le bisphénol A) ou de produits ménagers (le phtalate, par exemple), des savons et des fragrances font partie des causes du déclenchement de la puberté précoce. «Jusqu’ici, les études ne sont pas concluantes», fait valoir Dre Henderson.
Certains parents préfèrent malgré tout bannir ces produits de leur maison et de leur alimentation, en prévention. C’est le cas de Karine Jobin, mère de Lénika, huit ans. La fillette est suivie pour puberté précoce depuis deux ans au Centre hospitalier de l’Université Laval. «Le processus de la puberté ne s’est finalement pas enclenché, même si elle présentait plusieurs signes, confie Mme Jobin. Par chance, cela s’est stabilisé tout seul. Mais j’ai décidé qu’on allait suivre une alimentation cétogène — faible en glucides, avec un apport important de lipides —, avec moins de sucre, et j’ai éliminé le plastique de la maison. Désormais, je fabrique tous mes savons, déodorants et produits ménagers.»
Lénika n’a pas eu besoin de médicament pour ralentir sa puberté, mais c’est parfois le cas. Si un parent constate un début hâtif de puberté, il doit d’abord consulter son médecin de famille ou le pédiatre de son enfant. Après un examen physique, le médecin pourra recommander la famille à un »»
endocrinologue, qui effectuera un nouvel examen. Des prises de sang peuvent être nécessaires pour confirmer le déclenchement hormonal qui mène à la puberté. «On va aussi faire une radiographie de la main pour vérifier que l’âge osseux concorde avec l’âge réel de l’enfant», explique Dre Preetha Krishnamoorthy.
Une échographie de l’utérus, une imagerie par résonnance magnétique de la tête et des analyses sanguines plus poussées peuvent s’ajouter afin de confirmer le diagnostic. «On va également s’assurer qu’il n’y a pas de pathologie, telle qu’une tumeur, bénigne ou maligne, derrière ces signes de puberté précoce», indique Dre Krishnamoorthy.
Ralentir le processus
Et que se passe-t-il si tous les résultats convergent et que la puberté est bel et bien amorcée? «C’est du cas par cas, répond la pédiatre endocrinologue Mélanie Henderson. Selon l’âge de l’enfant, la progression des signes et un ensemble de facteurs, on décidera si, oui ou non, on commence un traitement hormonal pour ralentir la puberté.» Il s’agit généralement d’injections sous-cutanées, dont la fréquence est très variable: «Cela peut être une fois par jour ou une fois par mois», dit Dre Krishnamoorthy.
L’objectif premier du traitement est de préserver la taille finale adulte, révèlent les deux endocrinologues. Les enfants qui connaissent une puberté précoce risquent en effet d’être plus petits que la moyenne, parce que leurs os deviennent matures plus rapidement.
Selon Marianne Bélanger, psychologue, la puberté précoce peut apporter son lot de défis pour l’enfant. «La puberté fragilise tous les adolescents, de façon générale, signale-t-elle, et encore plus ceux qui la traversent avant le reste de leurs pairs. Ils peuvent faire face à des symptômes dépressifs, à une faible estime de soi, et cela peut avoir un impact important sur leur image corporelle.» Les taquineries peuvent mener à l’intimidation, prévient la psychologue, qui rappelle aux parents de rester vigilants et de ne pas hésiter à en parler à son enseignant ou à un professionnel de la santé.
«Oui, cela peut être anxiogène pour le parent et l’enfant. C’est normal, explique la psychologue. Mais comme parents, il faut être à l’écoute de son enfant et prendre du recul. Ce n’est ni tout noir ni tout blanc: chaque enfant va réagir avec ses forces et ses faiblesses.» Médicamentée pendant sept mois pour freiner sa puberté, Zoé, bientôt âgée de 12 ans, garde un souvenir net de ses consultations à l’hôpital et de ses injections... mais elle est aujourd’hui une adolescente tout à fait normale, avec ses petites sautes d’humeur,
réjouit.• ses hauts et ses bas. Sa mère, Émilie, s’en
LES ENFANTS QUI CONNAISSENT UNE PUBERTÉ PRÉCOCE RISQUENT D’ÊTRE PLUS PETITS QUE LA MOYENNE.