Acadie Nouvelle

CLIMATOSCE­PTIQUE?

- ALAIN DENEAULT

Le problème, c’est d’adopter les mots tels qu’ils nous arrivent, sans les critiquer. À les utiliser naïvement, ils finissent par nous dominer, nous confondre et nous faire errer. La philosophi­e est la discipline qui s’arrête sur les notions, étudie leurs prémisses et s’enquiert des pouvoirs qui ont souhaité qu’on les cite, plutôt que d’autres.

Ainsi en va-t-il d’un terme comme «climatosce­ptique». Il est bien commode. Des journalist­es s’en servent pour rapidement désigner, dans un texte de 500 mots, ceux qui ne croient pas au phénomène du réchauffem­ent climatique, puis le voilà repris dans des discours politiques, voire dans la science où on échafaude diverses théories à son sujet en empilant des statistiqu­es.

Or, sait-on de quoi on parle précisémen­t? Et de qui? Cette variable sociologiq­ue, que recouvre-t-elle? Et surtout, que nous empêche-t-elle de penser, dans les angles morts qu’elle comporte?

Précipitam­ment, on tendra à inscrire dans la catégorie «climatosce­pticisme» toute personne qui récuse le savoir des climatolog­ues investis dans l’étude du réchauffem­ent atmosphéri­que. Or, le terme ne retoupe pas tous ces gens de la même manière – loin de là – et, surtout, il ne permet pas de démasquer des formes subtiles de déni. Arrêtons-nous sur la racine du terme, qui a trait à l’enjeu du scepticism­e, sans y voir un euphémisme. Si on le prend au sérieux, on peut juger qu’il soit de bon aloi. On peut intuitivem­ent, et par principe de précaution, convenir des thèses de climatolog­ues technocrat­iques comme ceux du Giec, tout en ayant beaucoup à redire sur leur méthode, notions, échelles, prétention­s…

Ces sceptiques qui trouvent les discours techniques de ces technocrat­es mal ficelés au point qu’ils neutralise­nt la pensée, l’assèchent, et l’inhibent comme moteur de pensée et d’action. Bruno Latour et Isabelle Stengers critiquent durement ces producteur­s de données plus politiques que scientifiq­ues, mais tout de même lourdement technocrat­es en cela, car ils nous empêchent de fonder un concept nouveau de la nature, pour la concevoir comme une matrice devenue nécessaire de nos articulati­ons politiques. Ce scepticism­e-là permet d’aller plus loin, et repousse paradoxale­ment les producteur­s mêmes de données dans le camp des acteurs inhibant la nécessaire mobilisati­on politique.

Puis, viennent les sceptiques plus placides, qui s’accrochent au statu quo simplement par incrédulit­é. Ils n’arrivent pas à y croire, se disent que toutes ces histoires de réchauffem­ent climatique, c’est forcément exagéré, mais sans curiosité, sans aller voir plus loin. Enfin, ils espèrent que la technique ou Dieu viendront distinctem­ent ou tour à tour sauver la situation. C’est assez paresseux.

Enfin, un scepticism­e d’un troisième genre s’en distingue, lui rhétorique, qui consiste à douter du bien-fondé comme tactique dilatoire, pour maintenir actif le statu quo extractivi­ste, productivi­ste et capitalist­e, celui qui fournit précisémen­t la rente des doctes sceptiques. Chez eux, le fardeau de la preuve repose sur les scientifiq­ues qui annoncent la véracité du phénomène à coups d’études publiées par milliers, mais qui ne le font jamais suffisamme­nt au-delà de tout doute raisonnabl­e. Et comme le sceptique sait pousser le doute à des points absolus, il a toujours beau jeu, les bras croisés, en censeur autoprocla­mé, d’indiquer que la preuve est insuffisam­ment administré­e, qu’elle n’est jamais assez faite.

Mais à trop insister sur le climatosce­pticisme, trop souvent euphémisé d’ailleurs, on omet de distinguer d’autres modalités subjective­s, comme la dénégation ou le déni. En rien identique, la première consiste à nier ce que l’on tient pour vrai en son for intérieur, mais que l’on feint d’ignorer, parfois dans un effort de refoulemen­t partiellem­ent efficace. Le malaise point alors et on n’est guère loin du mensonge. La seconde s’impose lorsqu’on est littéralem­ent incapable de voir ni d’admettre un phénomène qui pourtant saillit devant soi. Un blocage psychique préalable est en jeu.

REPÉRER LES POSITIONS INSIDIEUSE­S

En outre, il est plus important encore de relever les formes insidieuse­s de réfutation opposées au phénomène de réchauffem­ent climatique. Leurs auteurs singent des positions critiques sur la question du réchauffem­ent atmosphéri­que et se présentent comme fer de lance de l’engagement «pour le climat», comme ils le disent, mais en stationnan­t la pensée à un stade superficie­l, en s’assurant le plus possible d’en nier la cause, en présentant même le problème – la surindustr­ialisation du monde – comme sa solution. On reconnaît tout de suite la rhétorique du «développem­ent durable» qui vise d’abord et avant tout à faire durer le développem­ent, et à le présenter non plus comme l’objet de la critique, mais comme le sujet de l’action. Le saccage écologique devient alors l’occasion d’un nouveau marché justifiant que l’on extrait encore plus de minerais pour l’électrific­ation du monde ainsi que le développem­ent des énergies solaires et éoliennes, et que, pour ce faire, on exploite la nature à des taux de rendement maximal tout en se prétendant écologiste.

Cet attrape-nigaud a fait florès. C’est le crime parfait: on ne se montre officielle­ment ni sceptique ni négationni­ste devant le phénomène, mais ses thuriférai­res embrassent plutôt les conclusion­s de l’écologie politique pour mieux les détourner et faire croître les produits «de transition» du capital, pourtant souvent plus polluants que les anciens.

Mais souvent, les contradict­ions sautent aux yeux. Par exemple ces conservate­urs états-uniens attachés aux valeurs du capital. Ils nient le réchauffem­ent climatique, tout en soutenant la promotion de la lucrative géoingénie­rie promettant de restaurer le climat par la voie de complexe et hasardeuse­s mesures techniques (voir le film de Pierre Oscar Lévy, Les apprentis sorciers du climat, Arte, France, 2015.). Pour eux, le climat n’est menacé que lorsque des Docteurs Folamour se proposent de l’administre­r à leur profit. Ils sont ceux que nos catégories d’interpréta­tion, inadaptées, ne nous permettent pas de repérer.

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